Des Livres et Vous

posté le 17-05-2010 à 16:36:31

Notre victoire contre l'alcool : toute l'histoire

A ma mère,   A mes enfants,  A ma compagne,    Je vous AIME et Je vous dois cette victoire  
Préambule      Cela faisait un certain temps que ce projet d’écriture me trottait dans la tête, mais il me fallait laisser du temps au temps. Il me fallait du recul, être sûr de moi et tout à fait certain d’avoir pris le dessus sur ce mal qui me rongeait depuis des dizaines d’années. Il y a quelques mois, je le sentais encore présent, prêt à m’en­vahir à la moindre occasion. Tapi, au plus profond de mon être, il savait se faire oublier en attendant son heure. Avant, il habitait chaque minute de mon existence, du réveil au coucher. Main­tenant, je n’ai aucun problème pour lui prendre le dessus. Je suis plus fort que lui, je l’ai vaincu et, sincèrement, je pense que c’est pour toujours.Ce mal, ou cette maladie, porte un nom. Ce n’est ni le cancer, ni le sida, c’est l’alcoolisme. On dit que de ce mal, on ne guérit jamais. Aujourd’hui, je ne dis plus que je suis alcoolique, mais que j’étais alcoolique. N’en déplaise à tous ceux qui pensent que c’est à vie, mais je peux le dire haut et fort, je suis guéri !!!On peut dire que je suis très chanceux, sûrement plus que de nom­breuses de personnes souffrant de ce mal. Ma première chance a été d’avoir des enfants qui m’aiment et, surtout, qui n’ont jamais cessé de m’aimer, même quand je les ai fait souffrir. L’alcoolique souffre, mais beaucoup moins que ceux qui l’entourent et qui le voient s’en­foncer de jour en jour. La honte, la colère, le sentiment d’abandon, je les ai souvent semés sur leur route. Aujour­d’hui, mes enfants sont là. Ils m’aiment toujours autant, même sans doute un peu plus, et je sais qu’ils sont heureux d’avoir un papa qui va bien. Je ne leur dit pas assez souvent que je les aime, mais, pourtant, c’est ce qu’il y a de plus beau et de plus intense en moi. Mon amour paternel m’a permis de survivre. Sans lui, je ne serai sans doute plus de ce monde…Ma deuxième chance a été de faire la rencontre d’une femme qui a su me remettre sur pied. Oh, ce ne fut pas simple et je lui ai aussi fait connaître quelques souffrances, de très dures souf­frances, même. Femme de caractère, elle n’a jamais rien lâché. Elle m’avait accueilli dans son cœur et sous son toit, elle avait des droits qu’elle a su faire respecter. Elle m’a mis face à ma réalité, sans ambages, ni compromissions. Si je voulais garder son amour, il fallait que je change. Ce fut long, elle a été patiente, aimante et j’ai changé… Elle a pris le relais de ma mère, elle qui m’a supporté au plus profond de mon abîme. Excuse-moi, maman, de t’avoir fait subir tout cela. Avoir des fils, ce n’est pas une sinécure et tu es bien placée pour le savoir… Je t’aime maman. Nous sommes une famille où ce verbe n’est que rarement conjugué et tu méri­terais que l’on te le dise plus souvent, et à tous les temps, toi qui es si férue de vocabulaire et de grammaire.Ah ! Si seulement on pouvait prescrire l’amour par ordonnance ! Il s’agit bien de cela et, pour moi, l’amour, celui de mes enfants, celui de ma mère et celui de ma compagne, a réussi à soi­gner mon mal. Etre aimé, c’est retrouver une certaine dignité, une certaine estime de soi. Comme tout malade, l’alcoolique a besoin de soutien, d’encouragements, mais aussi, c’est certain, de bons coups de pied au derrière. S’ils sont donnés amoureusement, ils n’en sont que plus efficaces. L’alcoolique doit savoir qu’on l’aime et que la souffrance que l’on res­sent à ses côtés n’en est que plus forte. Le silence, la soumission ou l’accepta­tion fataliste ne lui sont d’aucune aide. Il faut le remuer au plus profond de son être, le mettre face à ses responsabilités, lui démontrer ce qu’il est entrain de détruire et ce qu’il risque de perdre. L’alcoolique dépendant ne lutte plus, il faut lutter à sa place et il n’y a que l’amour, le véritable amour, qui puisse rendre ce combat efficace.Cet écrit a, pour moi, différents buts. Il se veut, tout d’abord, être un témoignage d’amour à ceux que j’aime et qui me le rendent sûrement plus que je ne le mérite. Ensuite, c’est une façon de m’excuser auprès de tous ceux qui ont eu à me supporter et à souffrir à mes côtés. Dans ce récit, je lâcherai aussi un peu de mon fiel à l’égard des personnes qui eurent un malin plaisir à m’enfoncer encore plus bas que je ne l’étais. Enfin, je serai heureux si ce message pouvait donner un peu d’espoir à tous ceux qui sont enferrés dans ce bourbier. J’aime­rai, après avoir partagé mon expérience, créer un lieu où chacun, malades et proches, pourraient retrouver un peu de force pour lutter. L’espoir peut donner un nouvel élan.A s’entendre dire tout le temps que l’on n’en guérit jamais de l’alcoo­lisme, pourquoi mettre toute sa volonté pour essayer d’en sortir ? Pourquoi mettre toute son énergie à vouloir aider un malade qui, on le sait, ne guérira jamais ? Il faut arrêter ce discours qui met les malades et leur entourage face à cette soi-disant fatalité et, au contraire, leur asséner, sans arrêt, que l’on peut en guérir. C’est dur, c’est certain, mais ça l’est encore plus quand on est persuadé que le mal est incurable. Il ne s’agit pas de critiquer les systèmes d’aide existants qui tiennent ce discours, mais plutôt de proposer une nouvelle alternative, une autre vision de la maladie.Aujourd’hui, je ne suis pas un abstinent et je sais apprécier un bon vin. Je vais aussi à l’encontre de tous les discours qui prônent cette abstinence complète. Je déguste, je prends du plaisir, sans avoir envie de plonger dans l’ivresse. Je pense être mieux guéri que tous ceux qui vivent quotidiennement avec cet interdit. Je ne compte plus les jours qui me séparent de mon dernier écart et on ne me regarde plus d’un œil apeuré quand j’ouvre une bouteille de vin. On a confiance en moi et ça me rend encore plus fort. Après ce que j’ai vécu, le vin n’en est que meilleur. Il a un petit goût de victoire que seul un ancien alcoolique profond peut connaître. J’ai gagné, au moins, à connaître cette sen­sation et je souhaite à tous ceux qui me liront, alcooliques ou non, de ressentir l’ivresse de la victoire face à leurs pro­pres maux.Je serai heureux que cet écrit puisse aider, même juste un petit peu, quelques-unes des cinq millions de per­son­nes de notre beau pays qui auraient un problème avec l’alcool. Aujourd’hui, je me sens assez fort pour partager mon expérience avec les alcooliques, mais aussi avec leur famille et tous ceux qui souffrent d’une situation qui leur échap­pe, de plus en plus, jour après jour. Il faut garder espoir, même si c’est usant. Bien sûr, il ne faut pas se leurrer et j’ai de la chance d’être arrivé où j’en suis aujourd’hui. Cela n’est pas donné à tout le monde. Je concède que c’est déjà un réel et grand succès de complètement devenir abstinent, mais sur le plan psy­cho­logique, la victoire est encore plus grande quand on a pris le dessus sur le mal. Le vin est maintenant pour moi une gourmandise et, comme les bons gâteaux ou les friandises, je n’en abuse plus, je le savoure.
Tombé dedans…    Je n’ai pas eu d’enfance malheu­reuse. Je ne suis pas fils d’alcoolique. Mon père, en tant que commerçant, connaissait énormément de monde et c’était un bon vivant. Il lui arrivait de boire un coup de trop, mais n’était pas alcoolique. Je n’ai jamais vu ma mère ivre… Ainsi, je n’irai pas chercher les raisons de mon alcoolisme dans mes origines, mais, plutôt, au fond de moi-même.Au plus loin que mes souvenirs remontent, je n’ai jamais été sûr de moi. Timide, réservé, renfermé, j’ai toujours envié ceux qui n’hésitaient pas à affirmer leur volonté ou leur avis. J’ai toujours admiré ceux qui se sentent à l’aise dans toutes les circonstances, même si, sou­vent, ce n’est que de l’esbroufe. Je ne savais pas, ou ne réussissais pas, à m’af­firmer. Il y a toujours eu en moi ce sentiment d’infériorité, ce manque d’as­surance. Je ne savais pas dire oui ou non et avoir un avis tranché. Bref, je n’étais pas un expansif, ni un meneur. Jamais, par exemple, je n’aurai eu l’idée de faire la « messe buis­sonnière » et d’aller acheter des bonbons avec l’argent prévu pour la quête. Cette idée fut celle de mon frère cadet qui avait, et qui a toujours, une toute autre personnalité que la mienne. Souffrais-je alors de mon manque de per­son­nalité ? Sans doute, mais ce n’était pas une grande souffrance. Je pro­fi­tais, sans me poser beaucoup de questions, des joies de la pêche et de la baignade en Loire. Je passais de longues heures à faire des parties de foot, avec des capsules de bouteilles de bière, sur le parquet de notre salle à manger. Com­­­­me tous les gars du village, je faisais du foot et je rentrais vite fait, après l’entraînement, pour regarder Zorro à la télé.Il y a eu l’école, puis le collège et les premiers flirts des autres que j’enviais. Je réussissais à entretenir de bons liens de camaraderie, que ce soit au collège ou au foot, mais j’avais tou­jours un temps de retard. Il y avait ceux qui faisaient et moi, je ne pouvais que regarder.Un dimanche soir, alors que j’attendais mes parents qui étaient allés chez ma grand-mère à Nantes, la voisine vint à côté de moi, alors que j’étais appuyé contre mon super vélo mi-course. Quelques mots et elle me prit la main… Incroyable la vitesse à laquelle mon cœur a pu battre !!! Je pense que je devais être complètement cramoisi. Appelée par sa mère, le charme fut rom­pu, mais rendez-vous était pris pour le lendemain. Incapable de faire une quel­conque démarche auprès des filles, j’ai eu la chance de plaire à une fille très mignonne qui attirait de nombreuses convoitises. Le lendemain, nous avons pu flirter et ce fut le début de mon premier amour. Une belle histoire com­mençait…Durant cette même période, avec toute la petite bande que nous étions, nous étions au stade des expé­riences. La cigarette, bien sûr, avait été testée et, à cette époque, la P4 (paquet de quatre cigarettes) était le meilleur moyen de donner des nouveaux clients à la Seita. Abordable pour le moindre garnement, c’était avec elle que se fai­saient les premiers « crapotages ».Après, il fallut essayer l’alcool. Je me souviens de cet après-midi, chez un copain, dont les parents s’étaient absen­tés, et de cette bou­teille d’absinthe que nous faisions tourner. Un liquide vert, au goût étrange, qui arrachait la gorge. Deux ou trois gorgées suffirent à nous enivrer : fous rires, cris, chahut… Comme les autres, j’étais dans un état second. Un état dans lequel toutes mes inhibitions avaient sauté. Je me sentais fort. J’étais celui que j’avais toujours voulu être. L’illusion fut de courte durée et je fus ramené à la réalité par une terrible nausée qui me tritura les entrailles. Le lendemain, je connus ma première gueule de bois, bouche sèche et mal de tête, mais ce n’était pas la dernière.Vint le lycée, puis les premières soirées. Avec toute la bande de copains, nous avions pris l’habitude d’organiser des « boums » dans une fermette inha­bitée située en dehors du village. Le programme était toujours le même : de la musique, un peu à manger et beau­coup à boire. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas inventé grand-chose et, com­me eux, nous n’avions finalement qu’un but, celui de nous enivrer au maximum. La seule différence réside dans le fait que nous ne nous serions jamais permis de consommer sur la voie publique ou à la porte du lycée. Le samedi soir, nous étions complètement « bourrés » et, le lendemain matin, nous étions sur le terrain, à jouer au foot, dans un état propice à la rigolade au grand dam de nos dirigeants.Lors de ces soirées, je dépassais complètement mes limites. Je me lâchais en dansant comme un fou sur du Led Zeppelin ou du Deep Purple.  Je retirais une grande fierté de faire partie de ceux qui buvaient le plus. Enfin, je me mettais au diapason et parfois même dépassais les autres. Je découvrais des sensations que je n’avais jamais connues et, sans que je le sache, le mal était entrain de naître en moi. Insidieusement, il allait s’installer et attendre le moment propice pour affirmer son pouvoir.A cette époque, je n’en étais encore qu’à quelques cuites par mois, lors de ces fêtes ou d’après matches de foot. Il n’y avait pas péril en la demeure, comme l’on dit. Ma première relation amoureuse, qui avait quand même duré quatre ans, s’étiolait.  Ma copine, beau­coup plus mature que moi, avait entamé une carrière professionnelle alors que moi, je me dirigeais vers une longue carrière d’alcooli­que. Je ne sais pas vrai­ment si l’alcool a joué un rôle dans la fin de cet amour de jeunesse qui avait pourtant été très fort. Nous avions fait ensemble nos premières expériences sexuelles et avions juré de ne jamais nous quitter… mais l’armée arriva.S’il existe un milieu où l’on peut tomber alcoolique, c’est bien l’armée, mais ça n’aurait sans doute rien changé pour moi si je ne l’avais pas faite… En novembre 1975, je me suis retrouvé, pour un an, à Soissons, dans un régi­ment dit « semi disciplinaire ». Ça, je ne l’ai vraiment jamais compris, n’ayant jamais eu à faire avec la police et n’ayant pas débloqué au fameux « Conseil de Révi­sion ». Après la douceur angevine, j’ai découvert la froideur de la Picardie et les joies des manœuvres dans des campagnes désolées. Après avoir passé les permis, je me suis retrouvé chauffeur d’un camion radio. La planque.En dehors du temps où je bri­colais et astiquais mon camion, je ne faisais rien et, dès que le foyer ouvrait, nous nous retrouvions tous à boire bière sur bière. C’est ainsi que j’ai commencé à me saouler sur la semaine. Pas tous les jours, mais une ou deux fois la semaine. A chaque retour en permission, les oc­ca­sions ne manquaient pas de faire la fête et, aux cuites de la semaine s’ajou­taient celles des week-ends.Comme l’on dit, je commençais à avoir « le nez dedans ». Quand on est jeune, on récupère très vite et, malgré quelques lendemains de beuveries dif­ficiles, jamais je n’ai pris conscience de ce qui se passait en moi. Ma consom­mation d’alcool, surtout de la bière, devenait journalière et je mettais souvent en application les fameux adages tels que « il faut soigner le mal pour le mal » ou « rallumer la chaudière ». Il n’y avait rien de mieux que quelques bières bien fraîches, ou quelques « rou­ges citror », pour atténuer le mal aux cheveux et la bouche déshydratée.Voilà, je crois que, déjà, j’étais tombé dedans. L’ivresse me conférait des pouvoirs qui me plaisaient et per­son­ne, à cette époque, ne m’a jamais dit que je devrais faire attention ou que je buvais trop. J’étais jeune, c’était normal et on faisait la fête. L’illusion, j’étais déjà plongé dans l’illusion du monde des alcooliques…
Consommation solitaire…     La fin de l’armée arrivant, il allait falloir envisager de travailler. Ayant fait une crise d’ado tardive, j’ai tout fait pour ne pas avoir mon bac. Je voulais travailler et avoir de l’argent. Au diable les études ! Avant d’être incorporé, j’avais travaillé quelques mois en usine, mais je ne voyais vraiment pas mon ave­nir à passer mon temps à manipuler des bouteilles de mousseux sur des chaînes. Pour autant, je n’avais pas d’idées arrê­tées de ce que j’allais faire… Je n’en avais même aucune. Le second de mes frères aînés me pistonna pour un poste d’éducateur stagiaire dans l’établissement spécialisé où il travaillait. N’ayant aucune perspec­tive en vue, je sautai sur l’occasion et gagnai même le droit de faire un peu moins d’une année d’armée. L’associa­tion qui gérait l’établis­sement avait du pouvoir et me fit libérer plus tôt pour occuper le poste vacant.J’ai ainsi débarqué dans un milieu dont je ne connaissais rien. Je ne m’étais jamais occupé de jeunes, qui plus est déficients intellectuels. Suis-je allé chercher assistance auprès de la dive bouteille pour gérer mes angoisses ? Et bien non ! Etonnant, mais je me suis tout de suite senti à l’aise au milieu de ces garçons dont certains étaient presque aussi âgés que moi. J’étais toujours le même, mais je pouvais m’exprimer : j’étais plus intelligent qu’eux, je connais­sais beaucoup plus de choses qu’eux, je jouais mieux au foot qu’eux… J’étais le plus fort. Je me sentais reconnu, voire admiré. J’étais une référence et, au foot, on se battait presque pour être dans la même équipe que moi. Sans l’alcool, j’étais devenu quelqu’un d’important…Avec ma future épouse, les choses avançaient bien aussi. Elle avait entamée, elle aussi, une carrière dans le social et nous décidâmes de nous instal­ler ensemble afin de faire nos premiers pas de couple. Peu temps après, nous avons déménagé pour habiter le village où je travaillais. Ce village, situé au cœur du Layon, nous permis sans doute de vivre les plus belles années de notre couple. L’ambiance était à la convivialité et l’ac­cueil chaleureux. Inscrit au club de foot, nous eûmes rapidement de nombreuses relations qui se transformèrent bientôt en amitiés. Une ambiance vraiment sympathique, avec des petits repas entre couples ou des fêtes fantastiques.Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pourtant, c’est à cette période que j’ai commencé à boire tout seul. Même quand ça allait bien, la bête était là, toujours là en moi. Au travail, il y avait un foyer pour les édu­cateurs avec bières et jus de fruits. Après une bonne séance de sport, il était de coutume de s’y rendre pour s’y rafraî­chir. Rien de très anor­mal dans cela, mais j’avais là, à portée de main, une tenta­tion à laquelle je ne pus ou ne sus résister longtemps. Dès que l’occasion se présentait et que le chemin était libre, je fonçais au foyer pour y vider, pres­tement, une bonne petite bière. Cette consommation n’était pas encore un besoin, mais une envie. Une envie qui me faisait prendre des risques vis à vis de mes chefs, mais aussi de mes collè­gues. Y avait-il quelque chose de grisant dans cette prise de risque ? Je ne sais… Je suis ainsi devenu un alcoo­lique solitaire. Boire, ce n’est pas bien, mais boire tout seul c’est encore pire. C’est honteux. Pourtant, à mon avis, celui qui boit en société, ou seul dans un bistrot, est aussi alcoolique que celui qui boit en se cachant. Je me suis souvent question­né à ce sujet : pourquoi le buveur solitaire devrait-il être encore plus rejeté, alors que celui qui s’imbibe publiquement est souvent très bien reconnu et accepté ? Je n’ai eu que peu de réponses, en dehors de celle de mon frère cadet : « La différence qu’il y a, entre moi qui picole aux yeux de tout le monde, et toi qui bois tout seul, c’est l’énergie que tu dépenses à te cacher.». C’est vrai qu’on en dépense de l’énergie pour ne pas être vu : être perpétuellement aux aguets pour saisir l’occasion d’aller téter une bouteille, descendre des escaliers rapidement sans faire de bruit, faire des kilomètres pour ne pas être vu dans des commerces connus… On se méfie, on sait que c’est mal, mais on ne peut pas faire autre­ment. Quand on est à ce stade, ce n’est plus le cerveau qui commande, c’est l’im­périeuse nécessité de satisfaire un besoin, un besoin devenu vital.Au début, alors que nous avions nombre de connaissances, les occasions étaient très fréquentes de boire un petit coup. Même si j’avais des horaires d’internat qui me mettaient en dehors du fonctionnement de la société, je ne m’adonnais encore pas à l’ivresse soli­taire. Il m’arrivait, quand même, de m’offrir un petit pastis de temps en temps.Cette joyeuse façon de vivre s’interrompit au bout de cinq années. J’avais eu mon diplôme de moniteur-éducateur, malgré les bâtons que ma direction m’avait mit dans les roues. Il y avait conflit et je n’étais plus, par ail­leurs, en accord avec le système éducatif appliqué. Par exemple, le vou­voi­ement était imposé aux jeunes qui devaient aussi nous appeler monsieur. Cela mettait des distances qui n’avaient pas lieu d’être. Ne peut-on pas être respectueux en tutoyant quelqu’un ? Cet­te question, je me suis permis de la poser au responsable éducatif, et il m’a répondu : « Il vaut mieux s’entendre dire « je vous emm…. monsieur » que « je t’emm…. »… ». J’ai eu beau réflé­chir, et encore réfléchir, je n’ai toujours pas trouvé la différence entre les deux formules… Bref, on éduquait à l’ancien­ne, alors que je passais mon temps auprès de ces jeunes sur tout leur temps de loisir.Je me suis alors mis en quête d’un poste dans un autre établissement. A cette époque, au début des années 80, il n’y avait pas de difficultés pour en trouver. L’affaire fut vite réglée et, fin août 1982, nous avons traversé la Loire pour nous retrouver à une quinzaine de kilomètres à l’ouest d’Angers. Le 28 août 1982 restera à tout jamais gravé dans ma mémoire : c’était le jour de notre déménagement et, surtout, la naissance de notre première fille. Elle n’était pas pressée de mettre le nez à la fenêtre, c’est le moins que l’on puisse dire : partis en catastrophe tôt le matin, elle ne vint au monde qu’à vingt heures. Une longue attente qui amplifia encore un peu plus mon immense fierté d’être papa. Remis de mes émotions, je devais gérer l’aménagement de la mai­son que nous avions louée et commen­cer dans mon nouveau poste. Je me suis retrouvé à travailler avec une jolie col­lègue auprès d’un des groupes de grands de l’établis­sement, des pré-ados de 13 et 14 ans. Personne ne semblait vouloir de ce poste et, ayant déjà tra­vaillé avec des adolescents, cela ne me posa pas de problème de me porter candidat. Je ne sus que beaucoup plus tard pourquoi personne ne voulait de cette place…Nous avions aménagé dans notre grande maison, ma femme et bébé étaient rentrés, le travail me plaisait beaucoup. Tout allait pour le mieux…Pourtant, je ne me doutais pas que j’avais perdu beaucoup en chan­geant de travail et en déménageant. On se retrouvait dans un village où la mentalité était très différente de celle que nous avions connue auparavant. De la convivialité d’un bourg viticole, nous étions passés à l’austérité d’une commu­ne « dortoir » et calotine à souhait. Pendant de très longues années, je ne me suis pas rendu compte que j’avais fait une grosse bêtise en quittant les rives du Layon. Il a fallu que je sois au fond du trou pour que j’en prenne conscience… Là-bas, j’aurai sûrement trouvé quel­qu’un à qui parler… Un membre de ma famille, un ou une amie…Au bout de deux ans, notre second enfant, un fils, fit son apparition pour la joie de toute la famille, car il était le premier garçon au milieu d’une ribambelle de filles. J’avais commen­cé à créer des liens, par le biais du foot, et je m’étais investi en entraînant les plus jeunes. Par contre, même après plu­sieurs années, je n’avais pas de véritables amis. Les gens ne savaient pas accueillir les nouveaux arrivants et, même si j’avais su me faire apprécier par mes qualités de footballeur et mes compétences d’entraîneur, il n’y avait aucune relation profonde. En plus, je n’allais pas à l’égli­se… Dans le Layon, j’avais laissé de la famille et bon nombre de copains et, aussi, de bonnes adresses de viticulteurs. Chaque année, nous faisions le plein du divin nectar qui savait si bien égayer mes papilles. Au travail, il y avait maintes occasions de boire un petit coup : anni­versaire d’untel, diplô­me ou départ d’un autre, fêtes de groupe… Drôle de petit monde que celui des éducateurs, des psychologues ou assistants sociaux… tout le monde se fait la bise, pour ensuite se lancer des couteaux acérés dans le dos. Naïf, je ne remarquais rien.  Cela me changeait de mon établissement précédent où les hommes travaillaient avec les garçons et les fem­mes avec les filles, avec pour seule et unique rencontre annuelle, la fête de Noël. Là, je « m’éclatais » auprès des jeunes. Avec eux, lors de camps, j’avais découvert les plaisirs de la voile, du kayak ou du ski J’étais en pleine forme physique et je pouvais leur démontrer ma supériorité dans tous les domaines. Je m’entendais bien avec ma collègue et nous aidions les jeunes à avancer et grandir. Malgré ce plaisir au travail, malgré le bonheur que mes deux enfants me donnaient, malgré l’entente correcte qui existait dans mon couple, malgré l’immense joie de l’arrivée de notre troisième enfant, un deuxième fils, c’est à cette époque que j’ai commencé à vraiment boire seul. Pourquoi ? Je n’ai jamais réussi à trouver de réelles explica­tions. Avec trois enfants, je ne pouvais pas m’ennuyer, même si les deux plus grands allaient à l’école. Il y avait du travail à la maison, du linge à étendre car nous avons toujours fonctionné avec des couches en tissu, le jardin à entretenir… Pourquoi ai-je commencé à ouvrir des bouteilles et à les cacher der­rière la cuve à mazout dans le sous-sol ?Quelle impérieuse raison me poussait à profiter de la moindre absen­ce de ceux que j’aimais pour descendre boire, à grandes lam­pées, au goulot de mes bouteilles ? J’avais pourtant tout pour être heureux : des enfants adora­bles, une femme aimante, un travail intéressant… Pourtant, éternel insatisfait, je ne devais pas être assez heureux et j’avais besoin de la dive bouteille et de son bonheur illusoire.
Dégringolade professionnelle…     C’est vrai, ce n’était pas bien ce que je faisais, mais, à cette époque, je ne me mettais pas dans des états minables. Je prenais encore du plaisir à déguster, même si c’était au goulot, un bon petit Sauvi­gnon ou un Cabernet d’Anjou. Pour­tant, sans que je ne m’en rende compte, c’était le début de la dégrin­golade. Un moment important, celui où j’allais passer du buveur régulier à l’alcoolique dépendant. Je n’en veux à personne de ne pas m’avoir mis le holà à cette époque. Il se peut que personne ne s’en soit alors rendu compte. Ma consommation n’était pas énorme et ma femme me faisait confiance sur la gestion de la cave. J’étais encore assez lucide pour être discret et ne pas faire de gaffes. Au travail, le quart de rouge servi à chaque repas me suffisait. Il n’y avait que lors des fêtes que je faisais quelques abus, mais pas plus que les autres.Ah, si seulement quelqu’un avait pu me donner un bon coup de pied au derrière à ce moment là ! J’aurai peut-être évité de sombrer par la suite…Petit à petit, l’alcool fait son nid. Les descentes au sous-sol devinrent de plus en plus fréquentes. Puis, comme j’étais conscient que la cave se vidait trop vite et que ma femme allait s’en rendre compte, je pris l’habitude de m’acheter quelques bouteilles. Tant qu’à faire, autant changer de catégorie et j’ai alors com­men­çé à boire du pastis. Il y avait là un gros avantage : je ne touchais plus à la cave et la bouteille durait beaucoup plus longtemps. Un verre trouva sa place derrière la cuve à mazout. Allez, un ou deux pastis de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal ! L’odeur ? Pas de problème, on commence à manger des bonbons à la menthe forte et on se rince bien la bouche au robinet avant de remonter. Avec nos horaires de boulot, j’étais souvent seul à la maison et je pouvais tranquillement savourer le suave breuvage.Les jours passaient les uns après les autres et les bouteilles se vidaient de façon régulière. J’étais tombé dans l’ad­diction et, mon addiction à moi, c’était pastis, plus vin ou bière. Avec du recul, je ne crois pas que j’en étais arrivé à un moment de non-retour. Je pouvais m’en passer mais, si j’avais une occasion, je ne la ratais pas. Le manque, comme je l’ai réellement vécu par la suite, n’existait pas alors. Il y avait encore une notion de plaisir, de goût. Je n’en étais pas encore au stade de la maladie, mais je la cou­vais. Je me sentais bien, en dehors de la honte que je ressentais, mais dame alcool savait vite me la faire dépasser.Petit à petit, l’alcool casse son nid… Mes besoins en liquides alcoolisés augmentèrent avec le temps. Ca ne se fait pas du jour au lendemain, au contraire, et c’est sans doute là le côté le plus vicieux de l’alcool et, j’imagine, de tous les autres produits avec lesquels on se perd. Cela se fait de manière très progressive. Le degré d’ébriété croît à petites touches et le niveau du besoin augmente à proportion égale. Plus on boit, plus on est mal. Plus on est mal, plus on boit. Mes besoins devenant plus grands, j’ai commencé à consommer davantage au travail. Pour la semaine, les cuisines nous donnaient le nombre de quarts de rouge nécessaire. Comme je commençais à avoir du mal à y retrouver mon compte, je profitais de la gentillesse d’une des cuisinières, pour me ravitailler en supplément. J’avais ainsi une petite dose en plus, mais la démarche avait quelque chose de gênant. Ainsi, j’ai alors commencé à amener des bouteilles au boulot. Il ne fallait pas que ma cave se vide trop vite ; il ne fallait pas que je dépense trop d’argent ; alors, presque tous les jours, avant d’aller au boulot, je faisais un petit détour par le village voisin où, dans une épicerie un peu glauque, j’achetais du vin rosé dans des bouteilles trois étoiles. Ce n’était pas le top du raffinement, mais j’étais passé au niveau du besoin, un niveau où le goût de ce qu’on avale n’a plus vraiment une grande d’importance. Qu’im­­porte le flacon, pourvu qu’il y ait l’ivresse…Comme à la maison, j’avais trou­vé ma cachette sous l’escalier du bâtiment où je travaillais. Un coin som­bre et poussiéreux, mais facile d’accès. Aucun collègue ne semblait se rendre compte de ce qui se passait, enfin, c’était ce que je croyais. Avec ma dose qui devenait quotidienne, j’étais plus fort, plus disert, plus revendicatif et certains de mes collègues, de très bons manipu­lateurs, se servaient de ma prestance artificielle pour alimenter des conflits avec des collègues qu’ils n’aimaient pas. J’étais fier. Je me mettais en avant lors de réunions, je rapportais les critiques acerbes qui m’avaient été transmises par mes collègues… Bref, je me croyais très important.Ma consommation, bien qu’en hausse, ne m’empêchait pas encore d’être actif à la maison, de m’occuper de mes enfants et d’avoir des activités spor­tives. Je transpirais juste un peu plus en courant. Personne n’avait conscience de ce qui se passait, ou alors, personne n’osait m’en parler. L’alcool, un sujet tabou par excellence… On se tait, on a honte… Ou alors, je n’étais pas aussi atteint que cela… Ou bien, je me cachais bien… Toujours est-il que mon couple n’en souffrait pas trop et que nous décidâmes de faire construire. Se lancer dans une telle entreprise et s’engager sur un aussi long terme montre que ma maladie ne devait pas trop se voir quand même. Nous avons pris possession de notre nouvel home et, l’année suivante, une deuxième petite fille est venue agran­dir la famille. Au plan profession­nel, j’avais commencé une formation d’éducateur sportif qui devait durer pendant deux ans. Cela me plaisait énormément et je crois qu’il y a eu un ralentissement de ma consommation d’al­co­ol durant cette période. Il fallait être en forme pour tenir lors des stages pratiques. J’ai mené cette formation à bien, mais n’ai malheureu­sement jamais trouvé de débou­ché par la suite.Deux garçons, deux filles, une femme, une maison, un boulot… Que demander de plus ? Etais-je un éternel malheureux ? Je ne sais, mais il me manquait sûrement ce petit plus que me confiait l’alcool. Ils étaient revenus ces complexes d’infériorité et ces difficultés à m’exprimer. La vie me semblait moins palpitante… La bête rôdait en moi et elle n’avait pas abandonné le terrain. Tiens, un petit coup, ça ne peut pas faire de mal. Oh, et puis deux… Et voilà com­ment on retombe. Le problème, c’est que l’on retombe encore plus bas. La bête vous punit de l’avoir ignorée durant un temps et se venge. Le corps, la tête réclament plus qu’avant. Il faut aller plus loin dans l’ivresse pour rattraper le temps perdu pendant la période de jeun. Je repris donc mes petites habitudes : descentes au sous-sol en catimi­ni, achat de bou­teilles avant d’aller au travail… Mais, comme je l’ai dit, il m’en fallait plus. A la maison, je ne pouvais plus être aussi longtemps sans consommer et, le soir, par exemple, j’attendais que ma fem­me monte raconter les histoires aux enfants pour faire une dernière visite à notre placard à apéritif. Un petit bonbon à la menthe là-dessus et, guilleret, je pouvais aller faire le bisou aux enfants…Au travail, il y eut le même phé­no­­mène et, si tout se passa bien pendant un temps, ça se gâta par la suite. Pour­tant, j’étais toujours plein de dynamisme et j’avais l’impression d’être reconnu dans mon action auprès des jeunes. Un jour, alors que nous étions à la fin de l’année scolaire et que je peaufinais un projet de camp vélo, un des collègues vint me voir. C’était un collègue que je voyais tous les jours et qui savait se servir de moi pour monter au créneau lors des réunions. Moi, naïf, j’avais une certaine admiration pour lui et j’étais fier qu’il soit aussi proche de moi. Son discours fut simple : « Avec tout ce que tu pico­les, il n’est pas question que l’on parte en camp avec toi. Tu fais ce que tu veux, tu te mets en arrêt ou tu restes ici, mais il est hors de question que tu viennes avec nous ! On est même prêt à annuler le camp ! »Ça m’était tombé dessus d’une façon si abrupte que je ne sus pas quoi dire, ni quoi faire. Ai-je cherché à nier ? Ai-je cherché à faire des promesses d’abstinen­ce ? Je ne sais plus, je me souviens juste d’avoir été abasourdi. Ce matin là, je n’étais pas au bout de mes surprises, car, tout de suite après l’entre­vue avec le collègue, le chef de service passa pour me dire que le directeur souhaitait me voir d’urgence. Il me convoquait car mes braves collègues s’étaient plaints de mon alcoo­lisme… Moi qui me croyais malin, qui étais persuadé que tous mes stratagèmes étaient indécelables, j’avais tout faux. Le fait d’avoir été découvert m’avait fait mal. De plus, il avait été ajouté que les jeunes en pâtissaient et qu’ils s’en plai­gnaient.Heureusement, ce jour là, je n’étais pas en trop mauvais état. J’ai essayé de me défendre, mais je n’ai rien pu faire pour aller à l’encontre des discours de mes trois collègues. Piteux, je ne pouvais être que piteux, même si le procédé employé me semblait ignoble. Le directeur m’avait signifié l’obligation de me mettre en arrêt et d’entamer des soins.Je ne sais plus comment s’est passée l’explication à la maison, mais je suis allé chez le docteur et ai eu un arrêt de travail. Depuis, j’ai bien compris la manœuvre de mes chers collègues. Tant que l’on a eu besoin de moi, ma maladie n’était pas un problème. On m’a laissé faire, on m’a laissé tout orga­niser pour le camp vélo, comme pour de nombreuses autres activités, puis on m’a jeté. Il fallait trouver une place pour l’amant de ma collègue durant le camp et pour l’année à venir. Cette très chère collègue, avec qui j’avais travaillé pen­dant une bonne dizaine d’années, n’a eu aucun scrupule pour me balancer. Elle ne s’est même pas fendue du moindre essai de discussion, ni de proposition d’aide. On aurait peut-être pu essayer de mettre les choses au clair et voir si on pouvait m’aider. Après dix années de travail en commun, je croyais qu’il y avait de l’amitié entre nous… Un ami c’est quelqu’un sur lequel, normale­ment, on peut compter…   Je me suis donc retrouvé en vacances avant l’heure en me promettant d’être impeccable à la rentrée. Ce fut le cas, mais il n’était pas aisé de revenir après ce qui s’était passé. Peut-être n’aurai-je jamais dû y retourner ? J’aurai sans doute dû chercher du travail ailleurs… Toujours est-il, qu’à la rentrée, je n’eus pas le choix. L’amant de mon ex-collègue avait pris ma place et ils allaient pouvoir fricoter plus tranquil­lement et je me retrouvais avec une nouvelle collègue qui venait d’être em­bau­chée. J’arrivais « clean » au travail et je n’y buvais pas une goutte d’alcool.Mes anciens collègues avaient pris la nouvelle sous leur coupe et lui avaient sans doute passé le mot. Elle passait plus de temps avec eux qu’avec moi, et je me retrouvais souvent seul à assumer l’ensemble du groupe de jeu­nes. Elle parlait bien, mais agissait peu. Je me sentais et étais complètement isolé. Le trio que mes collègues avaient formé m’excluait. Un jour, je fis part à ma jeune collègue que j’avais du mal à accepter sa façon de faire. Elle me répon­dit qu’elle avait du mal à travailler avec un alco­olique ! Pan, prends ça dans la tête ! Elle avait bien appris la leçon, m’avait jugé alors qu’elle ne m’avait jamais vu boire une seule goutte d’alcool… Un alcoolique reste un alcoolique, même s’il ne boit plus.Le travail de sape continuait. Il y avait, chez mes collègues, une espèce de plaisir sadique à me faire plonger au plus bas. Je gênais encore quelque part, puisque je conservais, entre autre pour les activités sportives, comme le foot, un rôle impor­tant. M’isoler allait peut-être me pousser à aller trouver du réconfort auprès de ma divine maîtresse la bou­teille. C’était sûrement ce qu’ils atten­daient pour me pousser vers la sortie… après être allés en aviser la direc­tion. Je sus, par la suite, que c’était le « play-boy » de ces dames qui étaient à l’origine de ces manigances. Il avait vou­lu mon poste, il l’avait eu, mais il voulait aussi mes responsabilités au niveau des activités sportives. Pour arriver à ses fins, il était capable de tout. Il utilisa d’ail­leurs mon ex-collègue, le temps qu’il en eut besoin, comme maîtresse et comme alliée, puis la jeta quand il fut parvenu à ses fins. Elle fut licenciée par la suite…J’étais mal, mais j’ai résisté à l’appel de l’alcool. J’ai préféré fuir, tout d’abord, en me mettant en arrêt de mala­die, puis en créant une petite socié­té. J’avais droit à deux années de congé pour création d’entreprise. Par hasard, nous avions repris contact avec un ami que j’avais connu alors que je travaillais dans le Layon. Sa femme gérait une papeterie et était très au fait de ce qui se passait dans ce domaine. Lors de nos rencontres, elle me parla de différentes affaires qui étaient en sommeil et qui pou­vaient être intéressantes. L’une d’el­le retint mon attention…Mon épouse me soutint dans mes démarches et, bientôt, je devins le gérant d’une librairie-papeterie située au sud de la Loire. Cette affaire avait été florissante à une époque, puis avait été reprise, avant d’être mise en faillite. Les chiffres étaient pourtant très bons. Y avait-il eu faillite frauduleuse ? Je ne sais pas… Enthousiasmé, j’ai cru naïvement les promesses du notaire véreux qui s’occupait de l’affaire (je me permets de qualifié ainsi ce notaire puisqu’il termina sa carrière en prison pour de nom­breuses malversations). Le magasin avait été fermé pendant plus d’un an et le point presse avait été transféré au super marché local. Le notaire m’avait promis que j’allais pouvoir récupérer la presse et qu’il se chargeait de toutes les démar­ches pour ce faire. J’ai attendu en vain…Plein de dynamisme et d’esprit d’innovation, je me suis lancé dans l’aventure. L’affaire ne m’avait pas coûté cher et je ne prenais pas de gros risques. Au début, les clients vinrent en nombre. Les nostalgiques étaient heureux que le commerce soit à nouveau ouvert, mais l’enthousiasme tomba peu à peu. Le livre n’était pas vraiment rentable dans cette commune rurale et les collectivités locales ne me faisaient pas beaucoup confiance, ou alors à des tarifs qui me permettaient difficilement de m’en sor­tir. Bref, les journées commençaient à être très longues, même si j’avais inno­vé en créant un service de création de prospectus et d’imprimerie de cartes de visite. Les services de presse ne répon­dirent jamais à mes demandes.L’oisiveté est la mère de tous les vices… Dame bouteille recommença à me tenir compagnie. Ma bouteille de pastis et mon verre trouvèrent leur place dans une petite réserve sombre, juste à côté de mon bureau. Il y avait même un robinet pour réaliser mon mélange pré­féré… C’était reparti pour un tour… J’allumais la chau­dière, comme l’on dit, dès le matin. Rien de tel pour se donner un peu d’allant et de joie de vivre. La forme était moins bonne en fin de mati­née et une petite sieste était nécessaire après le repas. Un petit pastis pour se réveil­ler et faire disparaître la bouche pâteuse et j’étais d’attaque. Enfin, c’était ce que je croyais. Evidemment, cela ne pouvait pas durer très long­temps ainsi… Dans un village, tout se sait et un commerçant qui boit, on ne lui fait plus confiance. Au bout de mes deux années de congé pour créa­tion d’entreprise, je ne pus pas me résoudre à retourner à mon travail et je démissionnais. Il ne me restait plus que mon magasin qui périclitait et mes bouteilles qui m’enterraient à petit feu. J’avais conscience que ça n’allait pas et j’ai même essayé de revendre le magasin en m’adressant à une agence qui, par la suite, se révéla être une très grosse arna­que. Il avait sans doute été très facile de m’avoir et je perdais, là encore, un peu plus d’argent.La situation devenant de plus en plus difficile et les dettes commençant à s’accumuler, je décidai, du jour au len­demain, de déposer le bilan. Je me retrouvais le bec dans l’eau, si on peut dire cela dans mon cas, n’ayant rien envisagé pour mon avenir. Je me suis ainsi retrouvé à la maison à éplucher les petites annonces me refusant à retour­ner dans l’éducation spé­cia­lisée. Je croyais pouvoir réussir dans le commercial. Ainsi, je me suis retrouvé à vendre des systèmes de traitement de l’eau. Une arnaque dans notre région où l’eau n’est pas très dure. Puis, je me suis retrouvé à vendre des fonds de commer­ce pour la société qui m’avait arnaqué. Je ne m’en étais pas rendu compte alors, mais c’est en travaillant pour eux que j’ai compris la super­cherie : les commer­çants, souvent en difficulté, payait une forte somme pour juste avoir une petite annon­ce dans une revue. Il n’y avait aucun acheteur potentiel, comme cela était pourtant expliqué, et il n’y avait, en réalité, aucune vente réalisée. Ne pouvant me résoudre à participer à ces magouilles, je laissais tomber ces mar­goulins. Je fis une tentative dans la vente de vins… J’étais pourtant dans mon élément, mais je ne pouvais pas m’ada­pter au système de la vente forcée qui avait été mis en place auprès des personnes âgées. C’était plus moi qui goûtais les bouteilles que les clients…C’était certain, je n’étais pas fait pour le travail de commercial. Je devais avoir conservé un fond d’honnêteté pour ne pas pouvoir accepter certaines des déri­ves de ce milieu. Désœuvré, je n’allais pas bien. Ma femme me poussa à essayer de rouvrir les portes du milieu de l’éducation spécialisée. J’avais de l’ancienneté, je coûtais cher. Je me suis ainsi retrouvé à faire de courts rem­place­ments dans divers établissements : on me couvrait d’éloges pour la qualité de mon travail, mais on en pouvait pas m’embaucher, faute de budget. J’étais à nouveau clean et je ne rechignais pas au travail, mais la situation était précaire. Prêt à tout accepter, je pris un poste de surveillant de nuit dans un établissement accueillant des jeunes adultes sociale­ment « cassés ». C’était une boîte gérée par une association peu en rapport avec mes convictions, mais j’avais vraiment envie d’avancer.L’association bien pensante qui m’avait embauché, regretta par la suite son choix… Travailler de nuit, c’est bien, mais qu’est-ce qu’on s’ennuie ! Au début, j’étais sobre, mais j’ai vite com­men­cé à trouver le temps très long, très, très long. Ma maîtres­se se fit un malin plaisir de me remettre le grappin dessus. Et, comme à chaque fois qu’elle inves­tissait à nouveau mon corps et mon esprit, c’était avec encore plus de force. Il me semble que c’est à cette époque là qu’un nouveau palier avait été franchi. L’alcool était là, la nuit, au travail, mais aussi le jour, à la maison, où je me retrouvais seul. Par cycle de six nuits en sept jours, je vivais en ermite, seul dans ma piaule la nuit et seul à la maison quand je rentrais. Après j’avais six jours pour récupérer, mais, même si je voyais plus ma famille, la solitude était mon lot de tous les jours.Au travail, il y eut encore quel­ques suspicions à mon égard de la part de collègues que je dérangeais, mais j’allais, par ailleurs, mériter la reconnais­sance de nom­breuses personnes en m’attaquant au fonctionnement de cette vénérable institu­tion qui était bien loin de respecter les lois du travail. Ce sont souvent celles qui tiennent les plus beaux discours, en terme de morale et de solidarité, qui exploitent le plus leurs salariés. Elu au comité d’entre­prise de cette énorme association, je n’ai eu de cesse de soulever des lièvres. Je me suis tout d’abord occupé du sort des surveil­lants de nuit dont je faisais partie et qui étaient payés à mi-temps en faisant presque deux cents heures de pré­sence, puis aux jours fériés qui n’étaient pas comptabilisés comme il fallait. J’eus la fierté de remporter une première vic­toire aux prud’hommes. Por­­té par trois ou quatre pastis, je n’avais peur de rien… Ces victoires, qui débouchèrent sur des indemnités inté­res­santes, autant pour moi que pour l’ensemble des nombreux salariés, me don­nèrent de la prestance et une im­pres­sion d’invincibi­lité.En moi, pourtant, le change­ment continuait. La bête prenait aussi de l’assurance. En étais je arrivé à un point de non retour ? L’alcool m’avait tellement envahi de son pouvoir que je ne m’en­dor­mais bien qu’en sachant si j’allais avoir ce qu’il fallait pour le réveil. Pour beaucoup un bon café, au réveil, c’est nécessaire. Pour moi, il me fallait un coup de quelque chose, d’abord pour ne pas angoisser le soir, ensuite pour pouvoir répondre au besoin impérieux qui me taraudait dès le matin. Ça ne passait pas avant l’envie d’uriner, mais presque. Je ne pouvais pas faire autre­ment. Je ne pouvais pas résister. C’était devenu une nécessité vitale. Je n’avais plus aucun contrôle, l’alcool avait miné toute ma volonté. Comme un zombie, je me levais pour aller téter ce que j’avais réussi à préserver la veille. Il fallait faire taire ces maux de tête, il fallait arroser cette langue pâteuse, il fallait faire cesser le tremblement de mes mains… Il fallait, tout simplement, que je me soumette au pouvoir que l’alcool avait sur moi. C’était impératif, vital, plus important que toute autre chose. Garçon, l’addiction s’il vous plait ! Mon addiction à moi, c’était tout ce qui pouvait s’avaler. C’était boire, plus boire, plus boire, avec une nette préférence pour les boissons alcoolisées anisées. Quand j’avais de la liberté, je les consommais avec de l’eau. Quand il fallait que je me presse, cela ne me dé­ran­geait pas de les boire pures au goulot. L’effet était beaucoup plus rapide, mais déclenchait des suées diffi­ciles à dissi­mu­ler, sauf quand j’avais la possibilité de me passer un coup d’eau fraîche sur la figure… Inexorablement, je tombais vers le fond du trou… Un trou très profond.
Images…      De ces longues années d’alcoo­lis­me, nombre de souvenirs se sont effacés. L’alcool brouille la mémoire et va même jusqu’à vous faire oublier que vous êtes alcoolique. Il y a des images de bonheur qui me reviennent : des images des mes enfants auprès de qui j’ai, quand même, parfois, réussi à être un bon père, des images de bonheur conju­gal, des images de vacances réussies… Mais, il y a des images qui me hantent, des images que mon esprit tout embué d’alcool a enregistrées de façon indélé­bile. Ces images, elles illustrent les pages noires du livre de ma vie.Images : Comment oublier cet après-midi où pris d’une envie de boire, je suis descendu au sous-sol. Je suis allé vers une de mes cachettes qui était, à cette époque, un emplacement qui se trouvait sous le capot de la voiture. Eh, oui, on est très inventif pour dissimuler sa honte, car honte il y a. Elle est très forte, très présente, mais elle n’empêche pas le mal de progresser. J’avais aussi le faux grenier ou les chasses d’eau des WC comme cachettes…Je lève donc le capot de la voitu­re, je prends la bouteille de pastis et en avale goulûment une bonne gorgée : la porte de la voiture s’ouvre et ma fille part en courant effrayée et remonte à l’étage retrouver sa mère ! Incroyable ! Ma fille était là, dans la voiture, à jouer à la maman qui conduisait. Elle avait vu son père téter le goulot de sa bouteille… Traumatisée, elle était partie en courant, effondrée. Qu’avais-je fait ? J’étais là, com­me un idiot, avec ma bouteille à la main entendant ma fille essayant d’expliquer à sa mère ce qui s’était passé. J’étais mal, très mal. Une honte incommensurable m’avait envahi. J’avais été en dessous de tout. J’étais le pire des papas. Je n’étais qu’un pauvre type. J’avais, en quelques secondes, brisé l’image que ma fille pou­vait se faire de moi. Elle avait huit ans, neuf ans ou dix ans, je ne sais plus, et je l’avais traumatisée. Quelle honte ! Cette image me reste, mais je ne sais plus ce qui s’est passé après, sauf que je suis allé vider la bouteille dans le regard d’écoulement du sous-sol. Crétin, je croyais sans doute que cela allait m’ab­sou­dre auprès de ma fille et de ma femme. Y a-t-il eu discussion avec ma femme ? Suis-je aller parler avec ma fille et lui faire des promesses ? Je ne sais plus, seul l’épisode du sous-sol m’a mar­qué à tout jamais.Image de cette soirée de Noël au travail : comme d’habitude, j’avais pris un peu d’avance en ingurgitant du rosé bon marché, comme d’habitude le repas de la fête avait été assez arrosé et, comme d’habitude, à cette occasion, les éducateurs s’étaient rassemblés après la fête pour déguster quelques huîtres et boire quelques verres. Pour ne pas avoir à repren­dre la voiture et dormir quel­ques heures avant le réveil des jeunes, j’avais décidé de coucher sur place. Tout le monde partait et il me fallait, dans le noir, rejoindre le bâtiment où j’allais dormir. Il y avait une allée bordée de rosiers et d’arbres envahis de ronces.J’étais ivre. Pas grave, j’allais me coucher. Dans la nuit sombre, l’allée se déroba et, sans que je ne m’en sois ren­du compte, je me suis retrou­vé à me battre contre les branches des rosiers et contre les tiges des hautes ronces. Je me débattis contre ces épines qui s’accro­chaient à moi et, plus je me déme­nais, plus elles s’accrochaient. J’étais dans un mauvais film d’horreur, un film où les végétaux m’agressaient. Incapable de me contrô­ler, ou d’essayer de me repérer, le piège se refermait sur moi et je fus pris d’une très forte angoisse. Un soupçon de raison m’amena à me calmer, à repren­dre mon souffle. Le noir était intense, sûrement plus qu’il ne l’était vraiment, mais ma copine alcool avait un malin plaisir à me troubler la vue. Le piège me semblait inextricable ; j’allais passer la nuit au milieu de cette jungle… Comment les collègues allaient-ils me trouver au petit matin ? Qu’allaient-ils penser ? Il m’aurait fallu un camion de xanax pour faire taire cette angoisse… Un bruit de moteur, des phares qui approchent, une voiture qui remonte l’allée… On ne m’avait pas vu, mais moi j’avais vu que je n’étais même pas deux mètres de l’allée. Le cauche­mar était terminé. Je m’en tirais avec quelques égratignures au visage, après ce qui fut une des plus grandes peurs de ma vie. C’était pourtant dans un piège beaucoup plus dangereux que j’étais tombé…Image de ce retour du travail : il faisait nuit, j’avais bu, comme à mon d’habitude. C’était un de ces soirs où je travaillais seul et j’avais eu plus de lati­tude pour m’imbiber. Pourtant, ce soir là, il y avait quelque chose de spécial : je voyais double. C’était la première fois que ma grande copine me faisait cet ef­fet. J’avais toujours pensé que c’était un gag. Pourtant, j’avais encore assez de conscience pour me rendre compte que tout se dérobait à l’avant de la voiture. Les arbres, les poteaux, les fossés, tout était en double et semblait bouger. Bizar­res ces vagues en pleine campagne, ces rangées d’arbres qui ondulaient… En fermant un œil, ça allait un peu mieux, même si ce n’était pas très pratique.Norma­lement, même enivré, je n’avais pas trop de soucis de conduite, mais là, c’était vraiment très étrange et je ne contrôlais rien. Passé l’allée du château, je pris la grande route direction la maison. Je n’allais pas vite, mais je faisais des embardées. Après quelques hectomètres, il y avait une route sur la gauche et, au dernier moment, je vis qu’il y avait une voiture arrêtée au milieu de la chaussée : c’était une Juva 4, avec un clignotant qui montait et qui s’abais­sait pour indiquer qu’elle allait tourner. Arrivé dessus, je donnais un coup de volant pour l’éviter, montais un peu sur la berne et réussissais à redresser mon véhicule. Pen­sant être passé tout près d’un accident, j’avais ressenti une grande peur et je me garais sur le bas-côté. En me retournant, je ne vis aucun véhicule au milieu de la route, ni les phares d’une voiture qui s’éloignait sur la route adjacente…  Mirage ? Vision ? Hallucina­tion ? Déli­re ?... Image de cet après-midi très plu­vieux au dehors et embrumé dans ma tête. Réveil difficile d’une sieste comateuse. Mal-être, angoisse, je n’avais plus rien à boire à la maison. Fouille méthodique des placards, vérification dans mes cachettes, plus une goutte à traîner. Sueur, tremblements, sensation de vide, ma quête resta vaine. Je ne sais plus comment je suis arrivé dans la salle de bain… peut-être pour m’asperger d’eau fraîche… mais j’ai ouvert l’armoire. Sur l’étagère du dessus, il y avait trois ou quatre fioles de parfum… Il me fallait absolument quel­quechose, le besoin était vital. Il me fallait sortir de cet état de fébrilité extrême. Je pris un des flacons… 70° d’alcool… Non, je n’allais pas le faire ! J’allais me brûler la bouche et les voies digestives… « Vas-y, essaie, me disait la petite voix de ma maîtresse, ça va te faire du bien… ». J’ai débouché le flacon, l’ai porté à mes lèvres et ai laissé du liquide s’écouler dans ma bouche, juste une petite lampée. Le goût n’était pas désa­gréable autant que je m’en souvienne, mais il fut immédiatement oublié par la brûlure que je ressentis au niveau de mes muqueuses, de ma gorge, puis de mon œsophage. Comme on dit, ça arrachait… mais, après deux ou trois gorgées d’eau ça allait mieux. L’effet de la très forte dose ne fut pas immédiat, mais quand même très rapide. J’avais trouvé un bon système pour rapidement répondre à mes besoins et il y avait un autre avantage à cette consommation : j’avais une bonne haleine… Image de ce soir d’automne où le suis allé à une fête au club de foot où j’entraînais, alors que ma femme et mes enfants étaient partis dans la famille. L’ambiance était très conviviale et je me sentais bien dans ce club où j’étais bien intégré et recon­nu. A cette époque, je suivais un traitement et prenais des anti­dépres­seurs. Je n’aurai pas dû boire une seule goutte d’alcool, mais je ne sus pas résister aux sollicitations et j’avais bu trois ou quatre demis de bière. En soi, c’était très peu au regard de ce que j’étais capable d’ingurgiter. Il finit pas se faire tard et je ne me sentais pas très bien. En allant vers ma voiture, je titubais. Le chemin se dérobait sous mes pas et les arbustes dansaient autour de moi. Je décidais de prendre des petites routes pour éviter de croiser la gendar­merie qui faisaient souvent des rondes dans le secteur. Les sept ou huit kilomètres en rase campagne furent très laborieux. Enfin j’arrivais. Un petit démar­rage en côte, une centaine de mètres sur la route principale, à droite, encore à droite et je suis arrivé dans l’impasse où se trouve ma maison. Content et soulagé, j’accélérai un peu, quand, tout à coup, le poteau d’éclairage, situé sur la droite de la route, vint se placer au milieu de la chaussée. Boum !!! Voiture cassée et poteau couché, à moins de trois mètres de ma maison !!! Hagard, je descendis et consta­tais l’ampleur des dégâts. Le poteau avait été arraché et gisait à terre ; l’avant de la voiture était défoncé et l’huile coulait à flot. Je réussis à redémarrer, à reculer, et à me garer correctement devant la maison, croyant sans doute que person­ne n’avait enten­du et que personne ne se rendrait compte que c’était moi qui avait détruit le poteau. La famille étant rentrée, je montais les escaliers en tanguant et allait m’installer sur le divan pour plonger dans un véritable coma…
Dégringolade familiale…     Bien sûr, ma femme et mes enfants étaient aux premières loges pour assister à ma déchéance. J’avais fait différentes démarches de soins, j’avais été suivi par un psy, j’avais fait des périodes d’abstinence, mais rien n’avait marché. Quand on refuse toute consom­mation alcoolisée, on est plus ou moins mis au ban. On devient quelqu’un de moins intéressant, on n’a moins de gouaille, on est moins convi­vial. Il y a quelque chose qui gêne. C’est une honte de boire tout seul et d’être alcoolique, mais c’en est aussi une de ne pas vouloir boire un petit verre de vin. Lors de certaines réunions de famille, je le res­sen­tais fortement. Je me sentais mis à part et il y avait une certaine condes­cendan­ce quand on m’offrait un apéro sans alcool ou un jus de fruit. J’aurai aimé que l’on me félicite, que l’on m’aide… Il n’y eut jamais rien de tel. Tout le monde savait que j’étais malade, tout le monde savait que, par périodes, j’essayais d’aller mieux, mais le malade alcoolo n’est pas un malade à qui on demande des nouvelles de sa san­té. Il n’annonce pas, fièrement, comme peut le faire un can­cé­reux, qu’il est en rémis­sion. L’alcoolique n’est pas mala­de, il a un vice…Mes passages à vide étaient sans doute très durement ressentis par mon entou­ra­ge, mais je n’en avais pas cons­cience. Il y avait sûrement des périodes où j’allais mieux, car mon épouse se retrouva enceinte une cinquième fois. Nous en étions à deux garçons et deux filles ; la petite dernière, avait huit ans passés. Pour ma part, j’allais sur mes 43 ans et mon épouse sur ses 40 ans. La question de l’âge se posa, mais le plus important était que ma femme me faisait encore confiance et nous décidâmes de préparer, avec bonheur, la venue de ce nouveau bébé. L’arrivée de ce garçon m’a trans­­for­mé pendant un an passé. J’avais mon boulot de nuit et, la journée, je m’occupais exclusivement de lui. Les quatre ou cinq heures de sommeil, que je m’octroyais au travail, et la sieste, que je faisais en même temps que le bambin, me suffisaient pour tout assumer. J’étais fier de moi. Fier d’œuvrer pour le bébé et pour l’ensemble de la famille. Ma femme pouvait entamer, sans soucis, sa nouvelle carrière, les enfants pouvaient avancer en sachant que leur papa était disponible et en forme. J’assumais tout à la maison, mon corps et mon esprit étaient occupés et l’alcool était tombé aux oubliettes, pour un temps…Mon petit grandissait bien et une relation très forte s’était instaurée entre nous. Elle était parfois gênante, mais je laissais ma femme prendre sa place en allant à des activités à l’exté­rieur. J’entraî­nais l’équipe de foot de mon fils cadet et y prenais aussi beaucoup de plaisir. Bref, tout allait bien et cela continua, jusqu’au moment où l’on décida que le bébé avait besoin d’aller se socialiser en allant réguliè­rement à la crèche. L’idée était bonne, sans aucun doute, mais je perdis là la béquille sur laquelle je m’appuyais depuis de long mois. Il était devenu, sans le savoir, mon soutien et, en même temps, le bouclier qui empêchait toutes les attaques du mal qui sommeillait en moi. Voilà, on se retrouve seul. On se dit qu’un petit verre ne pourrait pas faire de mal, puis un second…. Et l’on retombe encore plus profondément qu’auparavant. Comme je l’ai déjà dit, à chaque fois que je rechutais, le fossé dans lequel l’alcool me faisait plonger était encore plus profond. Nous sommes là, je le crois, à un des nœuds du problème de l’alcoolique. Il ne peut s’en sortir que s’il existe, pour lui, un dérivatif assez fort pour prendre le dessus. Il doit avoir une source de plaisir, une occupation qui monopolise ses pensées, un rôle qui lui donne une certaine importance au niveau de sa cellule familiale ou de la société. Il doit se sentir utile. L’alcoo­lique est rejeté ; plus il se sent rejeté, plus il boit. Moi, j’ai eu ce bébé, qui jour après jour, faisait des progrès qui illumi­naient ma vie. J’ai eu cette chance, pendant un certain temps, mais tous les alcooliques ne sont pas aussi vernis. Pourtant le principe me semble simple aujour­d’hui : le malade doit se décou­vrir une passion, un passe-temps ou une occupation qui seront source de plaisir pour lui, un plaisir qui dépassera le plaisir virtuel et destructif de l’alcool. L’écriture, même si ce n’est pas donné à tous, la lecture, les jeux vidéos, la marche, la course, le bricolage… que sais-je… cela n’a pas d’importance, il faut que cela soit source de plaisir. L’alcool sera toujours là, mais en retrait et c’est déjà ça de gagner. C’est un véritable combat. L’adversaire est vicieux et connaît le moindre de vos points faibles. Au début, il sera toujours présent, épiant la première occasion, mais plus on avance dans ce que l’on a entrepris, plus on prend du plaisir. Ce n’est pas encore la victoire, loin s’en faut, mais il y quelques petites batailles de gagner. Un jour, deux jours, une semaine, deux semaines, un mois… sans avoir été ivre. Au début, on compte… un jour, c’est bien ; c’est dur, mais c’est bien. Une semaine, c’est un exploit. Un mois, c’est fantastique… mais il faut que la source de plaisir soit toujours aussi présen­te. Il faut penser sur du long terme, et, peu à peu, on ne se souvient plus exactement de la date de la dernière ivresse. Petit à petit, ce qui était une obsession perd de son intensité, de sa présence. On se sent de mieux en mieux. Le sourire revient chez les pro­ches, la confiance s’établit à nouveau et le dialogue reprend une place qu’il n’aurait jamais du perdre. Pour ma part, l’écriture et les jeux vidéo m’ont aidé comme dérivatifs, mais c’est l’amour qui m’a, sans aucun doute, permis de m’en sortir réellement. Pourtant, ce n’est pas facile d’être aimé quand on est alcoo­lique… J’ai eu de la chance…En confiant le petit à la crèche, j’avais donc perdu mon assurance anti-alcool. Toutes les occasions étaient à nou­­veau bonnes pour que je boive. Nous en sommes ainsi arrivés à l’épiso­de du poteau d’éclairage qui traversa la route devant moi…Ce matin là, ma femme me réveil­la et complètement hagard, je ne pus que constater les dégâts. Au grand jour, ils étaient encore plus impression­nants : le poteau d’éclairage pendait piteusement et l’avant de la voiture était en bouillie. Elle m’emmena au foot, revint me chercher à la fin du match et me déposa chez ma mère… Piteux, je ne savais que dire. J’avais assez de cons­cience pour ressentir une honte énorme. J’avais honte de moi-même, j’avais honte de l’image que j’allais donner de ma famille aux voisins et à notre entourage. J’avais honte pour mes enfants. Le court voyage s’était fait sans un seul mot, mon épou­se me conseillant juste, en me dépo­­sant, de réfléchir. Ma mère m’accueillit. J’étais mal, très mal, mais je l’avais bien mérité. Elle m’écouta, sans me juger, ni juger qui que ce soit. Elle joua son rôle de mère qui était de recueillir un des siens qui était dans la détresse.  Il fallait que je me retape, que je retrouve ma dignité. Comment allais-je pouvoir revenir ? Que pensaient mes enfants ? M’en voulaient-ils ? Allaient-ils pouvoir surmonter leur honte ?... Les questions me taraudaient, me han­taient. Pendant les deux jours suivants, j’eus énormément de mal à trouver le sommeil, mais je réussis à ne pas aller trouver réconfort dans l’alcool. Ma fem­me avait dû se charger de toutes les démarches concer­nant l’accident et la voiture était à réparer. Elle me laissait mijoter dans mon jus et elle avait raison. C’était une façon de me faire mesurer le mal que j’avais engendré. Elle se retrou­vait seule avec les enfants, mais, avec eux, elle avait pris la décision de m’écar­ter. Peut-être qu’une mise en situation, avec discus­sion avec l’ensem­ble de la famille, aurait été plus efficace. J’aurai eu une notion plus claire des dégâts que j’avais commis. L’alcoolique doit être mis face à son problème. Il faut que cela lui fasse mal pour qu’il reprenne un soupçon de conscience. Il faut jouer sur ses cordes sensibles qui peuvent être son amour marital, son amour paternel. En un mot, il faut le confronter à sa réalité qui est de faire du mal autour de lui. Une rencontre, dès le jour de l’accident, aurait sûrement été pénible, mais je crois que j’en aurais pris plein la tête et que cela aurait été salutaire. Il ne faut rien laisser passer à l’alcoolique. Cela ne sert à rien de passer derrière lui, de sentir ses verres ou de vérifier le contenu des bouteilles, si on ne lui signifie pas que l’on sait qu’il a encore bu. Il faut lui montrer que le combat est engagé avec lui et que l’on sait que l’ennemi est puissant et qu’il ne sera pas vaincu du jour au lendemain. Loin de moi l’idée de critiquer l’attitude de ma femme, chacun fait comme il peut. Elle allait se réfugier auprès des siens ou chez des amis pour faire part de ses angoisses. Elle était malheureuse, les enfants étaient malheu­reux… Il aurait fallu me rentrer dedans. Après quelques temps, je fis mon retour à la maison. L’ambiance n’était pas vraiment sereine, mais je savais à qui on le devait. Il me fallait reconquérir la confiance de chacun, me comporter en père responsable, je n’y parvins pas…
Le fond du fond…     J’avais réussi à tenir quelques temps… Noël s’était passé sans que je ne fasse d’écart. J’avais rétabli une relation avec les enfants, nous avions à nouveau quelques moments de bonheur avec mon épouse. Pourtant, le mal couvait en moi, comme un feu dans une souche d’arbre ; ça ne fait pas de fumée et puis, tout à coup, ça s’embrase. Je ne sais d’où et pourquoi est revenue cette envie irrépressible de boire. Pourtant, je savais ce que j’avais à perdre et c’était tout ce qui me restait. Les amis devenaient de plus en plus rares, la famille de plus en plus lointaine… Je n’avais plus que mes enfants. L’alcool surmonta l’écueil de mon amour paternel et m’envahit à nou­veau.Un soir, je n’étais pas bien. J’avais honte devant les enfants. Je n’y tenais plus. J’attendis le retour de ma femme et, mon sac sur le dos, je partais sans dire un mot. Egoïste et lâche, j’étais incapable de faire face à la situation. Je préférais fuir, l’esprit embué par des vapeurs de pastis. Aujourd’hui encore, je ne suis pas capable d’expliquer ma démar­che. Quel­ques temps auparavant, j’avais pu mesurer la souffrance que je ressentais de vivre loin des miens, elle était inten­se. Pourquoi m’infliger à nouveau ce cal­vaire ? Je n’ai toujours trouvé aucune explication sensée, mais un alcoolique peut-il être sensé ? Je me deman­de juste, si au stade où j’étais alors, je ne répondais pas à un besoin de liberté que l’alcool me dictait : « Va chez ta mère, tu verras, tu seras plus tranquille pour passer plein de temps avec moi ! »C’est la réflexion que je me fais aujourd’hui, car c’est le sentiment que j’ai ressenti, après quelques jours passés chez ma mère. L’alcool est capable de briser les liens les plus solides, de passer au-dessus de tous les relents de cons­cience que l’on peut avoir. L’autre, même celui que l’on aime par dessus tout, n’existe plus. Toutes les zones du cerveau sont sous sa dictature et elle est présente à tous les instants de la journée. Réfléchir et ressentir de la honte n’est plus possible. On n’existe plus réelle­ment et toutes les pensées ou les gestes sont dictés pour assouvir le besoin d’alcool. On n’est plus un être humain et on se retrouve au même stade qu’une voiture qui a besoin d’essence pour fonctionner. L’alcool est notre seul carbu­­rant. On devient incapable d’aller au travail, ou de faire la moindre démar­che, par contre, on est capable de tout pour se trouver une bouteille. Le peu d’énergie qui reste est monopolisée pour cela et il en reste juste ce qu’il faut pour lever le coude…Donc, arrivé chez ma mère, j’ai ressenti ce sentiment de liberté. Elle me faisait confiance, elle me soutenait. J’ai commencé par, méticuleusement, lui vider sa cave… une merveilleuse façon de la remercier. Rosé, blanc, rouge, pétillant, je n’étais pas regardant. Lamentable… Je n’avais même plus le respect de ma propre mère. Le pire, c’était que je me sentais bien. Ma mère ne me surveillait pas et je passais beaucoup de temps dans ma chambre à soi-disant écrire. C’était surtout à boire. J’écrivais quand même un peu. Je déli­rais et j’étais content de moi. L’alcool m’avait transporté dans un autre monde, un monde où ma famille était bien loin, un monde irréel où j’étais seul. Une bonne rasade de vin, une bonne cigaret­te et je me croyais heureux. Cette période d’euphorie ne dura pas longtemps. Tout d’abord, ma mère se rendit rapidement compte des ravages que j’avais fait dans sa cave. Il est vrai, qu’à raison de trois ou quatre bou­teilles par jour, ça va vite. Avec raison, elle me fit part de son désappointement et de sa déception. Elle fut, à cette occasion, la première de mes proches avec qui je pus parler de ma maladie. Elle se doutait bien que quelque chose n’allait pas chez moi, mais elle ne savait pas quoi. Le fait d’en parler me fit du bien, mais cela ne régla rien. J’avais déjà commencé à me ravitailler dans les com­mer­ces environnants en pastis et en whisky…Le temps passait. J’étais en dehors des réalités. Des relents de cons­cience me faisaient parfois penser à mes enfants. J’avais complètement coupé les ponts et, plus le temps passait, plus cela me devenait compliqué d’essayer de les rétablir. Un jour, alors que je voulais passer récupérer des choses dont j’avais besoin, je m’aperçus que la maison était close et que je n’avais pas les clefs. J’étais parti sans… En colère, je ne pus que rebrousser chemin et aller trouver réconfort auprès de celle qui m’ac­cueillait toujours à bras ouverts…Comme l’on dit, « un petit veau qui tête bien n’a pas besoin de man­ger ». Je n’avais plus d’appétit. Je me forçais à manger pour faire plaisir à ma mère, mais je n’avais plus que la peau et les os. L’alcool me donnait des coups de fouet, par moment, ou alors, me rendait apa­thi­que. Mon incapacité à reprendre le dessus, ma honte vis à vis de mes cinq enfants que je ne réussissais pas à surmonter, me rendirent les choses de plus en plus difficiles. Je suis quand même resté plus de trois semai­nes sans aller leur rendre visite, les laissant à leur désar­roi. Même pour le petit, je n’avais pas eu le cran de faire la moindre démarche pour aller le rassu­rer, le retrouver. A chaque fois que cela était prévu, je trouvais une échap­patoire. J’étais toujours sur le même bord et je me dis, maintenant, qu’il valait sans dou­te mieux qu’il ne me voie pas ainsi.Le dilemme, entre ma dépen­dan­ce et l’amour de mes enfants, devint de plus en plus intense. Je me sentais écartelé entre cette force impitoyable qui avait pris possession de moi et mon instinct de père. Le leurre de l’alcool se dissipait quand je pensais à eux et l’image que j’avais de moi devenait de plus en plus noire. J’étais un nul, un raté, un moins que rien, un mauvais père, un zéro… Même une bonne gorgée de pastis ne pouvait plus atténuer ce qui devenait une angoisse omnipré­sente : mes enfants allaient-ils, un jour, revou­loir de moi ? Allais-je les revoir ?Il y avait des moments où c’était insupportable. J’avais des envies d’aller me mettre sous un TGV. J’étais à nouveau dans un des cercles vicieux de l’alcool. Je buvais pour oublier mes angoisses, mais plus je buvais et plus j’angoissais ; plus j’angoissais, plus… Ça n’en finissait pas et je sombrais réguliè­rement dans des sommeils comateux.Une fois, je suis descendu jus­qu’à l’an­cien passage au niveau. Il n’y avait qu’une rambarde à franchir pour se retrou­ver sur les voies de chemin de fer. Je suis resté là, un long moment, à scruter les voies et à écouter l’éventuelle arrivée d’un train. Deux images se juxtaposaient : celle de mon corps complètement explosé en mille mor­ceaux et celle des visages souriants de mes cinq enfants. J’ai choisi la seconde, qui, peu à peu, a pris le dessus et je suis reparti penaud, mais soulagé.Ce fut une expérience difficile. J’étais au fond du trou, mais, quelque part, l’amour pour mes enfants avait remporté une victoire…
Sursaut…      J’avais franchi un pas. Soit l’alcool vous emmène vers une mort à petit feu, soit elle peut vous entraîner à un dégoût extrême de vous même et vous pousser à des actes irrémédiables. Je ne parle pas, non plus, de tous les accidents qu’elle peut vous faire causer. J’ai souvent conduit ivre, mais comme l’on dit, il doit y avoir un bon dieu pour les alcooliques et je n’ai jamais eu de soucis de ce côté là. J’avais surmonté une épreuve. Un objectif était en train de naître en moi : je ne pouvais pas vivre sans mes enfants et il allait falloir reconquérir leur amour, reconquérir leur confiance, les retrouver et, enfin, à nouveau, pouvoir les serrer dans mes bras.Ce jour là, je me rappelle avoir pleuré comme un enfant. Je m’étais écroulé dans ma chambre et l’émotion m’avait submergé, enfin conscient du mal que j’avais fait et du délire dans lequel l’alcool m’avait enfermé.Attention !!! Ne croyez surtout pas, que du jour au lendemain, madame l’alcool m’ait abandonné ou que je sois arrivé à la mettre de côté. C’eut été trop simple. J’en étais trop imprégné pour m’en sevrer aussi rapidement. Par con­tre, elle avait une autre saveur, un autre effet. Je positivais et recommençais à penser à l’avenir. Avoir été à deux doigts de passer à l’acte avait déclen­ché quel­que chose dans mon cerveau. Il y avait, au loin, une lueur qui brillait derrière les hectolitres de vins et d’alcool, une petite lueur qui éclairait faiblement encore le chemin de ma vie future, une petite lueur vers laquelle j’avais envie d’aller, une petite lueur qui s’appelait amour. Mes sentiments étaient réapparus. Ils étaient longtemps restés enfouis au tréfonds de mon cœur alambic…Voilà, j’étais resté trois semaines sans avoir de contact avec mes enfants. Dur de revenir, mais je fus assez fort pour téléphoner à mon épouse et lui demander de pouvoir les voir. Elle accepta. En arrivant, j’étais mal, très mal. Je récoltais ce que j’avais semé… Les grands me saluèrent, mais ce ne fut pas les grandes effusions. Normal, il y avait de la rancœur, de la souffrance et je ne m’attendais pas à me voir absoudre du jour au lendemain. J’eus la joie de voir mon petit bout venir vers moi et me sauter dans les bras. Du haut de ses trois ans, il n’y avait qu’une seule chose importante, c’était de revoir son papa.Après le câlin, nous avons passé un moment ensemble à jouer aux petites voitu­res. Il me questionnait et toutes ses phrases commençaient par le même mot :Pourquoi ? Pourquoi tu es parti ? Pourquoi tu habites chez ma­mie ?Pourquoi tu ne reviens pas ?...Ma femme était là et nous surveillait. Elle ne me faisait pas con­fiance et voulait protéger les enfants. Je n’avais pas bu avant de venir, mais j’étais fébrile, très fébrile. L’intensité émotion­nel­le de la situa­tion et, sans dou­te, mon état de manque me ren­daient stressé. Rien pourtant ne pouvait me rendre plus heureux que de passer ces quelques moments auprès de lui. Après lui avoir expliqué que j’étais malade et qu’il fallait que je me soigne, tout en jouant aux petites voitures, nous avions renoué le lien si fort qui nous unissait. J’avais réussi à la faire rire en faisant faire des cabrioles aux voitures. Je me retenais de pleurer, l’émo­tion était forte. Des larmes ont coulé et il est venu se blottir contre moi pour un gros câlin dont je me souviendrais toute ma vie. C’était le câlin de l’espoir, celui qui allait me permettre de peut­-être envisager l’avenir avec autre chose que des bouteilles. A mon pirate, je fis des promes­ses, celles de venir régulièrement le voir et de ne jamais l’abandonner. Ces promesses, je les ai toujours tenues. Ce n’étaient pas des promesses d’ivro­gne, mais les promes­ses d’un père qui voulait aimer son fils. Mais, je ne me leurrais pas, ça n’allait pas être aussi simple que cela…Avec les grands le dialogue n’était pas restauré. Avec le cadet, on se voyait plus régulièrement avec le foot. Il restait secret et ne dévoilait pas ses souffrances. Les deux plus grands, qui avaient dû assumer de façon plus importante ma défaillance, m’en vou­laient. Avec ma femme, nous ne réussis­sions pas à discuter. Cela s’envenimait aussitôt. Elle m’accordait juste un droit de visite régulier, mais il n’était pas question que je récupère les clefs de la maison. Ce n’était plus la mienne. Après ce que je lui avais fait subir, sa démarche était logique et elle voulait protéger les enfants de mes possibles dérives. Notre couple avait explosé en mille morceaux qui repo­saient sur un lit de tessons de bouteilles. Elle souffrait, elle n’avait plus confiance en moi, elle angoissait pour les enfants… Tout ceci était normal, mais mon cerveau était encore trop embrumé pour le comprendre et éviter de me montrer agressif. Je savais qu’elle n’attendait pas des promesses, mais qu’il allait falloir laisser du temps au temps. Je devais lui prouver que je pouvais devenir un père raisonnable. Pour ce qui était de rede­venir un mari, je ne me berçais plus trop d’illusions. De plus, ce n’était pas ma priorité et j’étais obnubilé par l’envie de retrouver mes enfants. Pourtant, je ne me voyais pas revenir dans cette maison où trop de fois j’avais fauté. Je ne m’y sentais plus à ma place et avais peur de récidiver. Il me fallait partir sur une autre voie, celle de ma reconstruction. Elle longeait un champ de ruines qui allaient être difficiles à relever…
Rencontre     J’avais pris l’habitude de réguliè­rement rendre visite à mon petit et j’avais plaisir à embrasser les plus grands quand ils étaient là. Nos relations étaient limitées, il y avait de la retenue, de la gêne. Quand je venais chercher le grand pour aller au foot, je ne me garais pas devant la maison pour ne pas que mon pirate puisse me voir. Je reprenais un rôle, tout en acceptant les précautions que ma femme souhaitait. Par ailleurs, je m’étais mis à internet. Nous n’en étions qu’aux balbu­tiements, avec de longs temps d’attente avant que les pages ne puissent s’ouvrir et des forfaits limités dans le temps. J’avais acheté un portable et je pouvais me con­necter, depuis chez ma mère, sauf quand quelqu’un de la famille était connecté à la maison. Me retrouvant très isolé sociale­ment, je ressentais un fort besoin de communiquer. Les sites de rencontres existaient déjà à cette époque et celui de notre fournisseur d’accès était alors gratuit. Je m’étais mis en quête, sans arrière pensée, afin de rompre ma soli­tude. Je ne passais que peut de temps avec les enfants et j’étais toujours en arrêt maladie que mon psychiatre pro­lon­­geait, sans aucun problème, à ma deman­­de.Quand j’y repense, chez ce psychiatre, je n’y allais que pour ça. A part une ou deux fois où je suis allé un peu plus au fond des choses, je ne me faisais pas vraiment mal. Il m’écoutait, semblait me comprendre, mais ne m’ap­portait que peu d’aide réelle. Il me redonnait mes quinze jours d’arrêt et je repar­tais content de chez lui en ayant obtenu ce que j’étais venu chercher. J’avais droit à six mois d’arrêt en étant payé à taux plein et je comptais bien en profiter au maximum. Toutes ces visites régulières n’étaient pas vraiment très constructives et j’avais trouvé là un lieu où je pouvais me plaindre et me lamen­ter sur mon sort.Je regrette, depuis, de ne pas avoir utilisé ce que j’appelle la « scripto-thérapie » ou, plus simplement, écrire pour se faire du bien. J’avais commencé à écrire, mais en me contentant d’une pièce de théâtre que je trouve délirante et nulle aujour­d’hui et un début de roman policier que je finirai peut-être un jour. Je ne m’étais jamais lancé à écrire sur moi, sur mon alcoolisme, sur mon mal-être. Pourtant, je vous l’assure, ça fait du bien et comme Derrida le disait : « Ce que l’on ne peut pas dire, il ne faut pas le taire, mais l’écrire ». La feuille de papier est un exutoire et, quand elle est noircie, elle vous renvoie à vous, tel un miroir. En relisant, vous pouvez revivre la réalité dans laquelle vous étiez à ce moment là. L’autre grand avantage d’écrire réguliè­rement, pour des gens comme moi, aurait été de combler les trous que l’alcool a creusés dans ma mémoire. Il y a des images fortes qui restent, mais de nombreux passages ont été effacés et je ne pourrai pas vous les faire partager. Certains ne devaient pas être très glo­rieux et cela vaut peut-être mieux qu’il en soit ainsi.Pour en revenir à internet, j’ai commencé à discuter avec des femmes qui, comme moi, souffraient de solitude. Nos échanges devinrent réguliers et je les attendais, chaque fois, avec impatien­ce. A cette époque, ce style de rencontre n’était pas vraiment dans les mœurs. Etaient bien malheureux ceux qui en arrivaient à de telles extrémités pour faire des rencontres. Du virtuel, nous sommes passés au réel avec des rendez-vous. J’étais enthousiaste, mais aussi angoissé à l’idée de rencontrer celles avec qui j’échangeais. J’allais mieux, mais je n’avais pas pour autant cessé de boire. Pourtant, c’était différent. Je ne m’endormais plus en pensant seulement à ce qui me restait à boire le lendemain matin. Il y avait l’espoir d’avoir de nouveaux messages, l’espoir d’une pos­sible rencontre. Le matin, j’avais une raison de me lever et j’allais vite allumer l’ordinateur. Ce distributeur de monde virtuel me rattachait au monde réel et me faisait sortir du monde illusoire de l’alcool. Enfin, juste pendant un temps. Il y eut une première rencontre avec une femme qui me raconta ses malheurs. Elle cherchait quelqu’un pour se confier et je n’étais alors pas vraiment la personne adéquate ayant, moi-même, une multitude de problèmes à régler. Puis il y en eut une seconde…Journée ensoleillée, je suis là, centre ville, à l’attendre, impatient et fébrile. Elle arrive, on se sourit, on se salue et on va s’as­seoir à la terrasse d’un café. On se raconte et on se rend com­pte que l’on a plein de points communs et de connaissances com­mu­­nes sur le plan profession­nel. Nous sommes dans la même branche. Nous entamons la conversation, nous échan­geons, nous rions, nous nous étonnons de nos simili­tudesJe me retrouvais dans une situa­tion que je n’avais plus connue depuis des lustres. J’étais encore capable d’avoir un lien social, de parler avec quel­qu’un qui, en dehors de nos quel­ques échanges via le web, était une parfaite inconnue. Le plus important était de me trouver face à quelqu’un qui n’avait pas d’à priori. Elle semblait contente de me rencontrer et de passer un moment avec moi. Je ne sais plus combien de temps dura cette première rencontre, mais, en rentrant chez ma mère, je n’avais qu’une idée en tête, lui envoyer un petit message pour la remercier et lui demander un nouveau rendez-vous. Je sus, par la suite, qu’elle en était au même point et qu’elle espé­rait secrète­ment un message de ma part. Deuxième rencontre, restaurant et balla­de en ville, encore un moment très agréable. La troisième rencontre fut un peu plus folklorique :Retrouvailles au bord de la Maine, promenade bucolique, mais attroupement autour de sa voiture qui était au milieu de la prairie : garée un peu plus haut, le frein à main avait sans doute lâché et elle avait traversé la prairie et plongé dans la Maine. Des gens du coin, avec un véhicule à treuil, l’avaient sortie de l’eau et elle trônait là, fangeuse. La panique passée, après avoir imaginé des enfants ou des promeneurs écrasés, elle appela une dépanneuse. Cet épisode est, aujourd’hui, source de fous rires, mais, sur le coup, c’était vrai­ment l’angoisse.N’ayant plus de véhicule, je dus, avec plaisir, la raccompagner chez elle. Elle m’offrit une omelette…Nous arrivions aux vacances d’été et elle allait partir pour deux mois  au bord de la mer Méditerrannée. Nous nous étions donnés rendez-vous en sep­tem­bre. J’avais repris le travail. Ma reconstruction était loin d’être achevée, mais les premiers étais se mettaient en place. En juillet, j’eus le plaisir de partir quelques jours, avec mes deux petits, chez une cousine de ma mère, dans le Cher. Une femme formidable, pleine de dynamisme, de gentillesse et de sagesse. Elle sut nous accueillir, comme d’habi­tude, très agréable­ment et ces quelques journées furent fantastiques. Des liens se tissaient à nouveau avec les plus petits, la confiance de mon épouse revenait puis­qu’elle me les confiait, quelqu’un atten­dait, là-bas, au bord de la Grande Bleue, mes messa­ges et poèmes avec impatien­ce…J’avançais… J’avançais petit à petit… Quelques ruines se relevaient…Ma femme allait partir avec les enfants et j’allais avoir des congés car l’établissement où je travaillais fermait. Je n’allais plus avoir aucune obligation. Quelque chose avait vraiment changé dans mon esprit : cinq ou six mois auparavant, j’aurai trompé mon ennui dans l’alcool. Là, j’étais dans une péri­ode constructive ; mon esprit vaga­bon­­dait ailleurs qu’au fond d’une bouteille et je faisais des projets. Pour­quoi ne pas aller passer quelques jours dans le Sud et y retrouver mon amie ? Fébrilement, je réussis à lui envoyer un message lui parlant de mon désir de venir la retrouver pour une semaine. Une semaine de rêve… Une semaine rallongée de quelques jours puisque mon établissement ne rouvrait que plus tardivement. Soleil, baignade, ballades, restaurants… et des sensations de plaisir et de bonheur réelles. Je découvrais un nou­veau monde qu’elle était heureuse de me faire découvrir.Il me fallut rentrer et repartir au travail. Je buvais encore, mais pas au point de me mettre réellement en danger. Je réussissais à contenir des envies qui étaient moins puissantes et je ne consommais que lorsque je me sen­tais en sécurité. De toutes façons, je ne pouvais plus consommer autant car, lorsque j’étais tenté d’abuser, j’étais pris de nausées très désagréables. Des envies nouvelles avaient pris formes dans mon esprit et mon corps avait pris son parti pour se défendre et repousser les atta­ques insidieuses de l’alcool.Septembre arriva et mon amie était rentrée. Je ne pouvais plus resté seul avec ma mère. Elle fut ravie de me voir partir avec mon sac et mes quelques affaires. Je lui en avais fait voir de belles, mais elle ne m’en voulait pas. Elle avait été là, présente, jour après jour. Elle m’avait vu au fond du trou, elle avait souffert, elle s’était inquiétée, mais elle avait joué son rôle de bonne mère qu’elle est. Elle a eu un grand rôle dans ma renaissance et je n’ose imaginer ce que je serai devenu si elle n’avait pas été là aux moments les plus critiques de mon existence. Elle était là aussi quand j’ai donné un petit coup de pied au fond de mon gouffre pour remonter à la surface. Elle a eu le bonheur de me voir revivre, de me voir redémarrer et me lancer dans une nouvelle existence. Merci maman, jamais je ne pourrais te rendre le millième de ce que je te dois. Je sais que de me voir heureux cela te suffit, je vais tout faire pour que cela dure. Je t’aime maman.Je suis allé frapper à la porte de mon amie. Heureuse de me voir, elle ne s’attendait pas à me voir avec mon paquetage. Elle m’a ouvert sa porte et son cœur, cela fait plus de sept ans…
Divorce     Ma femme avait demandé le divorce et il n’y avait là rien de plus logique. Je ne vivais plus à la maison depuis des mois et elle avait envie de reprendre sa liberté. Avec du recul, il y a toujours quelque chose qui me reste en travers de la gorge. Ce n’est pas le fait de divorcer en lui même, mais la façon dont cela s’est passé qui me dérange encore.Lorsque j’ai reçu les papiers, j’ai pu lire que le divorce était demandé pour faute et, qu’en guise d’argumen­tation des membres de sa famille et des amis avaient témoigné contre moi. La faute pour laquelle je devais être conda­m­né était de m’être adonné à mon vice l’alcool. L’avocate de mon épouse était bien connue sur le secteur pour transformer les divorces en venge­ance. Elle doit, sans doute, avoir un pour­centage sur les sommes récoltées ou alors un homme l’a fait beaucoup souffrir. Enfin, pour tondre un mouton, il faut qu’il ait de la laine. Moi, je n’avais aucune richesse…La séance de conciliation se passa mal pour moi. J’avais un peu consommé avant de partir, pour me donner du coura­ge, et la juge ne se gêna pas pour me le faire savoir. Elle me passa un savon, mais ne m’empêcha pas de don­ner quelques arguments qui rendirent la conciliation impossible. Il s’agissait, ni plus ni moins, de me priver de tous biens matériels. Si l’on avait voulu me replonger le nez dans l’alcool, on n’aurait pas fait mieux. Les lettres de la famille et des soi-disant amis avaient été fièrement avancées par l’avocate. Elle se montra vraiment prête à tout. Passablement écoeuré, j’avais à peu près compris que les parents de ma femme veuillent la défendre, mais les « amis » de quoi étaient-ils venus se mêler ? En quoi cela les regardait-il ? Dénoncer un parent qui frappe ou torture ses enfants, cela va de soi, mais y avait-il besoin de leur témoignage puisque je ne contestais pas mon alcoolisme ? Il y a peu, j’ai croisé une de ces personnes qui n’était d’ail­leurs pas une véritable amie. Elle m’a sourit et salué. Je ne lui ai répondu que par un regard noir… Enfin, il y avait de la rancœur chez ma femme, c’est certain, voire logique, mais je ne puis rien imaginer d’autre qu’une manipulation de la part de son avocate. Elle l’a embarquée dans une affaire sans fin qui n’a fait que pourrir nos relations. Trouvant le procé­dé abject, je me suis abstenu, du jour au lendemain, de lui faire la bise lors de nos rencontres. Je ne pense pas que cela lui ait manqué, mais c’était une façon de marquer mon profond désaccord. Les choses auraient pu se passer beaucoup plus sim­ple­­ment et l’atmos­phè­re aurait sûre­ment été un peu moins lourde. N’ayant pas eu gain de cause lors de la première compa­rution, elle fit appel et cela lui coûta beaucoup plus cher qu’à moi. Bref, il y avait de la vengeance dans l’air…Aujourd’hui, j’aimerai refaire ce divorce et être mon propre avocat. De mon alcoolisme, on en a beaucoup parlé et je ne l’ai nié à aucun moment, mais jamais il n’a été question de ma maladie. Pour l’avocate adverse, je devais être condamné pour mon vice. Je devais aban­don­ner ma maison, je devais payer une forte pension alimentaire et régler d’énor­mes domma­ges et intérêts. Aujour­d’hui, je ne lui dirai qu’une seule chose : « Madame, vous n’êtes pas au cou­rant, mais l’alcoolisme c’est une mala­die ! »Mon avocate était gentille, mais n’eut jamais la présence d’esprit de me défendre en arguant de ma maladie. Mon épouse a été déboutée de tout ce qu’elle demandait, mais j’ai quand même été condamné à verser mille cinq cents euros parce que j’étais malade, ou plutôt, pour mon vice qui n’en est pas un. Drôle de justice. Je suis moins éton­né maintenant quand je lis, dans les faits divers, des histoires de divorces qui tournent au drame. Avec de telles avocates méprisantes et hautaines, voire sadiques, d’irrémédiables actes peuvent être commis.Fermons la parenthèse.
Nouvelle vie     J’avançais, mais je n’étais pas guéri. Mon amie partait toute la journée et je ne pouvais pas m’empêcher de boire. Bien sûr, je n’en étais plus à la même consom­mation, mais il me fallait ma dose pour me sentir bien, être gai et dynamique. Dans mes périodes les pires, je buvais trois quarts d’un litre de pastis ou de whisky par jour. La bouteille était là, au pied de la table de nuit, et je n’avais qu’à tendre le bras. Ce n’était pas mes enfants qui venaient me faire un câlin le matin, c’était madame la bouteille. Là, je continuais à boire en cachette, je buvais aussi au travail, mais j’étais très loin de mes records. Il m’arriva quand même de m’enivrer et mon amie n’en fut jamais dupe. A plusieurs reprises, sans un mot, elle partit de l’appartement, me laissant seul face à moi-même. Elle partait de chez elle, mais le paradoxe est qu’elle ne m’a jamais demandé de partir ce qui, pourtant, aurait été plus logique. Ce comportement m’an­gois­sait. Elle me laissait chez elle et allait combattre sa souffrance en allant rouler en voiture. Qu’avait-elle fait, elle aussi, pour mériter cela ? Elle m’avait accueilli, elle avait accepté que mon fils vienne passer avec nous un week-end sur deux et la moitié des vacances, elle avait accepté toutes mes difficultés… Pour la remercier, je me saoulais… Elle partait, j’angoissais. Bien fait pour moi ! Elle avait trouvé là une très bonne façon de me remettre en ques­tion. J’avais besoin d’elle, je ne pouvais pas partir, mais elle, elle ne pouvait pas être avec moi quand j’avais bu, quitte à partir de son propre appartement. Elle est partie à plusieurs reprises, puis, d’autres fois, j’ai réussi à la retenir. Elle ne m’a jamais demandé de lui faire des promes­ses, mais elle s’est montrée ferme à chaque fois que je faisais des écarts.Au niveau du travail, j’étais, dans mon rôle d’élu, de plus en plus gênant. Tous les moyens furent employés pour essayer de me faire partir, mais j’ai tenu le coup. Tout ceci se termina par un procès gagné aux prud’hommes et une confortable somme en contrepartie. En marge de ce travail de nuit qui me laissait beaucoup de temps libres, j’avais découvert les plaisirs des jeux vidéo. Je sais, cela semble un peu puéril. Pourtant quand j’y repense : ne vaut-il pas mieux passer des heures devant un bon jeu d’aventure, plutôt que de commencer une nouvelle aventure avec une bouteille de pastis ? C’est certain, j’avais trouvé là mon dérivatif. J’avais trouvé là une source de plaisir. Un plaisir virtuel, lui aussi, mais nettement moins dangereux, malgré ce que certains détracteurs peuvent en dire, que la dive bouteille. On peut devenir accroc aux jeux, c’est certain, mais je ne pense pas que cela puisse faire autant de dégâts. De plus, c’est une passion que j’ai pu partager avec mon fils qui préférait, et de loin, avoir un papa joueur, plutôt qu’un papa aviné.Le divorce finit enfin pas se régler. Je n’ai rien fais pour gêner le projet de mon ex-épouse de racheter sa part de la maison. Un trait était enfin tiré sur mon ancienne vie. C’était sans doute nécessaire  Tout en construisant peu à peu ma nouvelle vie, je me suis mis à sérieusement écrire. Je me suis d’abord lancé dans une carrière de « nêgre pour inconnu » en écri­vant des biographies pour des particuliers qui souhaitaient laisser un souvenir à leur descendance. J’ai ainsi eu la chance de faire de belles rencontres avec des personnes qui m’ont ouvert leur intimité parce qu’elles se sentaient en confiance. Dans ce job, je suis quelqu’un d’important pour mon inter­locuteur. Je suis celui qui va faire un livre de son existence, ce n’est pas rien. Ensuite, j’ai écrit quelques livres sur un quartier de ville et sur des associations. Etant assez occupé et faisant des choses que j’aimais, j’avais de moins en moins l’idée d’aller à la rencontre de l’alcool. Mes incartades se sont espacées, elles sont devenues rares pour bientôt complètement disparaître. Depuis… depuis… Je ne sais plus exacte­ment combien de temps et c’est ça qui est fantastique. Je n’en suis plus au stade où je me félicitais de ne pas avoir bu durant huit, dix ou quinze jours. J’en suis au stade où il ne m’arrive jamais d’avoir envie de boire, même si ça ne va pas trop bien pour telle ou telle raison, ou si je m’en­nuie. Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain. C’est long, c’est un chemin jonché d’embûches et, à la moindre petite occa­sion, le mal sait se proposer gentiment, insidieusement, pour aider à régler le problème. Il y a des moments où les gros yeux d’une compagne aimante sont utiles, alors que l’on a tendance à un peu trop lever le coude lors d’un repas. Sur le coup, on lui en veut un peu de ce rappel à l’ordre, mais c’est un message d’amour et il faut le prendre ainsi.Aujourd’hui, je pense être équi­li­bré. Je mène une vie calme, trop calme de l’avis de certain. J’ai besoin de cette existence un peu casanière, sans doute pour me rassurer. J’ai toujours les mêmes problèmes de personnalité, mais je réussis à les surmonter en prenant sur moi. Je suis souvent seul, mais je n’en souffre pas… Je suis devenu un peu asocial, mais je sais me tenir quand il s’agit d’aller au devant des autres. Je ne crois plus en l’amitié, mais je crois plus en moi. Ceux qui se disaient être mes amis n’ont pas eu le rôle qu’ils auraient dû avoir. Je me contente d’être aimé et d’aimer… Je veux que cela dure le plus longtemps possible… Aujourd’hui, mes enfants tra­cent leur route. Ils ont souffert et je m’en veux car, même si la maladie était la cause de toutes leurs angoisses, j’ai ma part de responsabilité ; une large part de responsabilité. Ils ont été forts et ils savent, maintenant, qu’en cas de coup dur, ils peuvent faire appel à moi et compter sur mon aide. Ils ont parfois, comme beaucoup de jeunes, des com­por­te­ments qui m’inquiètent, mais je crois que leur vécu peut les aider à entretenir une certaine méfiance vis-à-vis de l’alcool ou de certaines substances illicites… Surtout, les enfants, ne suivez pas le chemin de votre papa d’hier, suivez celui de votre papa d’aujourd’hui.Le petit dernier de la famille pousse bien. Il ne me sert plus de béquille et, avec lui, j’ai retrouvé mon rôle du papa : ce n’est plus lui qui me soutient, mais c’est moi qui l’aide à avan­cer.Mes relations avec mon ex-épouse se sont détendues avec le temps. Elle a connu les souffrances que doivent connaître nombre de proches d’alcoo­lisme. Comme beaucoup, elle s’est sentie isolée, impuissante, et a fait com­me elle a pu en protégeant au maxi­mum les enfants. Elle a eu raison. Nous som­mes maintenant capables de discu­ter, de nous allier et de faire face ensemble aux problèmes rencontrés par nos enfants et c’est là le plus important. 
Aujourd’hui…     Aujourd’hui, mon rapport à l’alcool est sain. Je ne bois plus d’alcool fort depuis des années. C’est une bonne façon d’éviter la surdose, la langue pâteuse et les maux de tête du lende­main. J’apprécie le bon vin, et même d’en déguster plusieurs lors d’un bon repas. Nous ne buvons pas une goutte d’alcool sur la semaine, mais, même quand nous ne sommes que tous les deux, nous nous offrons une bonne peti­te bouteille au week-end. Nous avons un petit bar qui, même s’il n’est pas très bien garni, renferme quelques bouteil­les. Nous avons aussi en cave quelques bouteilles de bon vin d’avance… Jamais je ne ressens le besoin ou l’envie d’en entonner ou d’en ouvrir une. Je les offre, je les partage, je les déguste, mais jamais seul et toujours avec modération.De mon expérience, j’ai tiré des savoirs sur ce que pouvait être la déché­ance d’un être entraîné au fin fond de l’abîme par l’alcool. Il n’y a que ceux qui l’on vécu qui peuvent savoir ce que c’est. Pour moi, l’alcool c’est une spirale, une sorte de tourbillon qui, systématique­ment, a l’effet inverse de ce qui était espéré. Quelques exemples :On peut boire parce que l’on ne sent pas bien, mais plus on boit, plus on se sent mal.On peut boire pour s’égayer, mais plus on boit, plus on est dépressif.On peut boire parce que l’on se sent seul, mais plus on boit, plus on est rejeté.On peut boire parce que l’on manque d’amour, mais plus on boit, moins on vous aime.On peut boire pour être plus intéressant, mais plus on boit, plus on vous raille.On peut boire pour se sentir plus fort, mais plus on boit, plus on est faible. On peut boire pour essayer de surnager, mais plus on boit, plus on coule.L’alcool est un mirage, un écran de fumée. Rien de ce qu’il procure n’est réel, ni utile. Elle va très loin dans la destruction de l’être qu’elle envahit.L’alcoolisme, c’est un asservis­sement. On y perd l’estime de soi, après avoir perdu l’amour des autres. L’alcoo­lique devient un non-être qui ne voit plus qu’à travers le verre coloré de ses bouteilles. Sa vie a été prise en main du lever au coucher et ses rêves ne sont plus que des histoires incohérentes. Il n’y a plus de projets, plus d’idées, plus d’envies, en dehors de porter un goulot à la bouche. L’alcoolisme brise des amours, brise des carrières professionnelles, brise des familles. Il détruit tout sur son passage, de façon méthodique, de façon inéluctable. Heureusement, je n’ai tué personne en voiture. Je me suis tué moi-même, à petit feu, pendant de longues années. Mon cerveau n’était plus qu’un conglomérat de moult de raisin, qu’un concentré d’alcool d’anis ou qu’une épon­ge imbibée de houblons. Plus de sentiments, plus de notions de la réalité, plus de sens critique… Un véritable asservissement… Seul l’amour des miens pouvait m’aider à reprendre ma liberté, car il s’agit bien de cela : l’alcool vous prive de toute liberté.Cinq millions de français ont un souci avec l’alcool. Chacun d’entre nous en côtoie en famille, au travail ou dans son quartier. J’ai l’œil aguerri pour repérer les stigmates d’une trop grande consommation d’alcool, alors que j’ai longtemps pensé que personne ne pou­vait s’en rendre compte à mon sujet. Yeux injectés de sang, élocution difficile, teint blafard, tremble­ments des mains. Tous les matins, je croise trois ou quatre des ces personnes qui sont en manque et qui attendent l’ouverture du super marché pour aller s’acheter leur petite dose salvatrice. L’autre jour, juste en face de ma fenêtre, il y avait un homme, manifestement ivre, qui voulait sauter du dernier étage de son immeuble. Déses­péré, il n’en voulait plus de sa vie, il ne voulait plus de lui-même. J’avais envie de lui crier :« Ne sautez pas ! Ne sautez pas ! Il y a encore de l’espoir… »Il a fini par accepter la main tendue d’un pompier. Il tenait peut-être, là, la main qui allait lui permettre de faire un pas vers la surface.Ces êtres asservis, je sais qu’ils souffrent, mais je me sens impuissant. Quoi faire pour eux ? On en revient un peu à l’histoire de l’œuf ou de la poule : est-ce la misère sociale qui a engendré leur alcoolisme ou l’alcoolisme qui les a plongés dans la misère sociale ? Est-ce la solitude qui les a plongés dans l’alcoo­lisme ou l’alcoolisme qui les a plongés dans la solitude ?J’ai eu de la chance. J’ai plongé très profond, mais je n’ai jamais été complètement seul. C’est ce qui m’a sauvé.  C’est écrit est terminé. En le commençant, je n’étais pas certain d’être capable d’aller au bout. Au fond de moi, il y a encore de la honte et le fait de revivre certaines situations ont fait perler quelques larmes au coin de mes yeux. Ce n’était pas évident d’aller au fonds de moi-même et de me revoir aussi lamen­table. Pas évident de repenser à toutes les souffrances que j’ai fait connaî­tre aux miens. Il n’était pas question de me chercher des excuses, ni de me justifier, mais chacun doit se mettre en tête qu’un alcoolique est un malade qui souffre et, pour qu’il aille mieux, il ne faut ni honte, ni pitié, mais juste de l’amour.  A la fin de ce récit, je me sens encore un peu plus fort. La « scriptothé­rapie », ça a du bon et ça fait du bien… J’ai mis tous mes maux en page et j’ai maintenant envie de les partager avec ceux que j’aime, mais aussi avec le maximum de gens. Je le répète : cinq millions de personnes ont un souci aves l’alcool, des dizaines de milliers en meurent chaque année, de façon directe ou indirecte. Puis-je apporter ma petite pierre à l’édifice ? Oui, je le pense… Comment ?Tout d’abord en diffusant mon écrit le plus largement possible par le biais de notre petite association Écrits et Mémoi­res. Nous envisageons de le diffuser sous la forme d’un carnet de vie, mais aussi par le biais du web sous forme de fichier. Je serai fier de redon­ner un peu d’espoir à ceux qui sont usés au côté d’un malade. Je serai heureux qu’un malade puisse retrou­ver l’envie de se battre après avoir lu mon témoignage. La force que l’on ne trouve plus en soi, il faut aller la chercher chez les autres. Je suis prêt à donner un peu de la mienne.Parallèlement, et toujours dans le cadre de notre association, je souhaite partager mon expérience avec des mala­des et leur donner la possibilité de mettre leur histoire en page afin qu’ils se l’approprient à nou­veau. Le malade n’est plus dans la réalité et il faut qu’il soit mis en face de ce qu’il est devenu. Je désire aussi donner la possibilité aux proches qui souffrent de s’exprimer et de rédiger des lettres d’amour à l’inten­tion de ceux qu’ils ont peur de perdre, de ceux qui ne se rendent pas compte des dégâts qu’ils font. Existe-t-il suffisamment de lieux pour qu’ils puissent être entendus, séparément ou ensemble ? L’alcool reste un tabou, il reste très difficile d’en parler. Pourtant, c’est une maladie, mais c’est une maladie qui reste honteuse. On en parle à mots couverts. Pourtant, toutes les couches de la société sont touchées, les malades de plus en plus jeunes et les femmes de plus en plus nombreuses. Le mal n’est pas combattu autant qu’il ne devrait l’être et il n’existe pas assez de lieux d’accueil et d’écoute pour que la lutte soit efficace. L’alcoolsime est une maladie et il faut que tout le monde s’en persuade. Ce n’est pas un vice. La rémission d’un cancer, ou sa guérison, sont des grands moments de joies pour les malades et leur famille. Le malade alcoolique et sa famille devraient pouvoir récolter la même gloriole quand ils avancent dans leur lutte. Un cancéreux peut, en général, voir tous les siens s’unir autour de lui pour l’aider ; un alcoolique voit le vide se créer. Il y les connaissances, les collègues, les amis puis, enfin, sa propre famille qui fuient ou qui reculent, car impuis­­­sants. Les malades et leurs proches sont seuls. Il y a l’inconscience de l’un, d’un côté, et la honte des autres, de l’autre. En publiant mon écrit, je ne sais pas quelle va être la réaction des gens qui ne sont pas au courant de ce que j’ai vécu. Vont-ils me regarder d’un nouvel œil ? Me juger ? Me plaindre ? Me féliciter ? A voir, mais le plus important restera le regard mes proches et, celui-là, je sais qu’il a changé…Je veux créer des groupes de paroles et d’écrits pour que des gens puissent s’unir, parler de leurs expé­riences, les partager et devenir plus forts. Je veux aller me raconter dans les collèges, dans les lycées. Comme l’on dit, il vaut mieux prévenir que guérir. Je veux lancer un appel à toutes les municipalités, à toutes les associa­tions, qu’elles soient déjà engagées dans la lutte contre l’alcoolisme ou non, et à tous les organismes sociaux qui seraient prêts à m’accueillir pour que je puisse témoigner. Je m’adresse à tous les profes­sion­nels de la santé qui seraient prêts à m’appuyer dans ma démarche. Pour que notre message soit diffusé le plus largement possible, nous allons utiliser l’outil internet et créer un blog où chacun pourra s’exprimer. Il sera aussi possible de se rencontrer à distance et d’échangerPour nous lancer dans ce vaste projet, nous allons nous mettre en quête de subventions, de mécènes, voire de spon­sors. Toutes les aides et tous les dons seront les bien venus afin que je puisse, peut-être, donner à quelques uns d’entre-nous la possibilité de remporter la même victoire que moi.Vous trouverez, ci-dessous, tou­tes les coordonnées de l’association où vous pourrez avoir tous les rensei­gnements que vous souhaiteriez avoir : Association Écrits et Mémoires12 square des Caléïdes49000 Angers                  Tél : 02 41 47 66 78          06 03 02 74 38Mail : ecritsetmemoires@dbmail.com
Aujourd’hui, je dois encore faire face à trois addictions : La plus dangereuse restant le tabac… Il va falloir que je m’y attaque.La seconde est beaucoup moins grave, puisqu’il s’agit du chocolat. Que c’est bon d’être à nouveau gour­mand !Pour la troisième, j’ai en projet de la développer au maximum : c’est l’amour que je porte à mes proches… J’ai bientôt cinquante quatre ans et il me reste, je l’espère, beaucoup d’années à vivre et à aimer…                                 Y. Toullec          
 


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